LA NÉCESSITÉ D'UN NOUVEAU PARADIGME DE RENAISSANCE AFRICAINE

20.03.2022

Lorsqu’on essaie d’analyser les maux du continent africain, il est essentiel de ne pas oublier d’aborder les idéologies sur lesquelles l’Afrique s’est alignée pour tenter d’émerger dans l’échiquier géopolitique.

L’ABSENCE D’UNE INDÉPENDANCE IDÉOLOGIQUE
Dans les années ’60, les nations africaines ont obtenu leur indépendance, mais pas de facto. Être indépendant ne signifie pas seulement avoir le contrôle de sa propre primauté territoriale. Il faut pouvoir appliquer un paradigme singulier dans la perspective d’une multipolarité géopolitique. Ceci a été le problème fondamental de l’Afrique, ce de s’être enracinée dans des idéologies exogènes conçues par d’autres, pour d’autres, et donc qui ne sont pas en adéquation avec les réalités du continent africain. Après la colonisation, plusieurs nations africaines ont adopté des idéologies comme le libéralisme,  le communisme, le socialisme, le capitalisme, la social-démocratie, etc.

LA VOLONTÉ D’UN SOCIALISME AFRO-ENDOGÈNE POUR UNE RENAISSANCE AFRICAINE

A l’époque, le monde était divisé en deux blocs bipolaires : à l’est le bloc communiste soviétique et à l’ouest le bloc capitaliste occidental. Dans ce contexte de guerre froide, les néo-nations africaines ont été contraintes de choisir une position bien précise afin d’être reconnues et soutenues face à un mal qui émergeait, à savoir le néo-colonialisme occidental. On ne peut nier que l’Union soviétique sous la direction de Nikita Khrouchtchev a apporté un grand soutien aux mouvements anticolonialistes de libération en Afrique, mais cela s’est fait d’un point de vue purement idéologique, puisqu’il fallait répandre les ingrédients du marxisme-léninisme partout sur le continent africain. Des respectables personnalités panafricaines comme Ahmed Sékou Touré (premier président de Guinée), Kwame Nkrumah (premier président du Ghana) ou Mathie Kérékou (premier président de la République populaire du Bénin suite à un coup d’état) ont opté pour cette voie. Cependant, tous les dirigeants africains n’ont pas accepté le marxisme-léninisme, car ils estimaient que c’était une pensée trop limitée pour les besoins et réalités des Africains, à l’exception de certains idées, qui sont l’essence de l’humanisme panafricain, telles que la solidarité, l’anticapitalisme, la souveraineté populaire et l’anti-impérialisme. Le rejet de l’éternelle lutte des classes et l’acceptation de la religion comme partie intégrante des sociétés africaines traditionnelles, constituaient le principal point de séparation entre le socialisme africain et le marxisme soviétique. C’est cette dynamique qui a conduit certains dirigeants africains à instaurer un socialisme endogène africain. Parmi ceux-ci on peut citer Julius Nyerere (premier président de Tanzanie) qui a théorisé dans le livre   »Ujamaa : Essays on socialism  », un modèle de socialisme sans marxisme et sans capitalisme. Sa conception d’Ujamaa devait être basée sur le communautarisme, car il considérait que les sociétés africaines étaient communautaires, et non communistes, sans pour autant, que les principes d’égalité, solidarité, partage et fraternité soient oblitérés.

» L’Africain n’est pas communiste dans sa pensée ; il est – si je peux utiliser une expression – communautaire – .  » Julius Kambarage Nyerere

Pour Nyerere, l’éternelle lutte des classes en Afrique n’avait aucun sens, car l’homme ne pouvait pas être divisé en groupes (en l’occurrence en classes). Le socialisme devait mettre la personne au centre de la communauté et du village. Cette réflexion n’effacera en rien sa dynamique anticapitaliste viscérale. Pour lui, le peuple devait s’opposer au capitalisme international et ne pas s’opposer à ses semblables dans des sociétés où les classes n’ont jamais existé (contrairement à l’Europe). Il y a eu, historiquement, des castes traditionnelles qui harmonisaient la vie de la ville ou du village, qui pratiquaient la cohésion sociale de manière équitable, mais il n’y a jamais eu de subordination d’un groupe spécifique sous un autre.

Une pensée parallèle peut être trouvée dans l’ouvrage  » Consciencism  » de Kwame Nkrumah. Ce dernier a eu sa phase marxiste-léniniste, mais il n’a pas accepté ses principes pleins et entiers. Pour lui aussi, la religion faisait partie de la vie de l’Africain. Des personnalités comme Nyerere, Nkrumah et d’autres contemporains panafricains avait donc tenté de s’engager dans une voie alternative aux schémas idéologiques issus du monde occidental et soviétique. Le socialisme dans ses diverses variantes africaines a fonctionné tant que le soutien du pouvoir soviétique ne manquait pas à l’époque. Les dirigeants africains avaient vu dans ce dernier un allié fondamental dans l’opposition au bloc capitaliste occidental et impérialiste. Mais quand l’URSS a commencé à  » boiter  » politiquement parlant, à mettre en œuvre une certaine libéralisation et une ouverture vers le bloc atlantiste (fait qui a entrainé vers l’effondrement du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la dissolution de l’Union soviétique le 26 décembre 1991) , les nations africaines sont devenues des orphelines idéologiques et abandonnées à leur sort. Les relations n’étaient plus les même que pendant la guerre froide.

L’AFRIQUE ORPHELINE SUR LE PLAN IDÉOLOGIQUE : QUELLES SOLUTIONS ?

En 1945, le nationalisme dans sa dérive chauviniste et impérialiste qui a caractérisé l’Europe, a été vaincu face à l’axe libéral. Depuis ce moment, la diatribe idéologico-politique était devenu bipolaire entre le libéralisme et le communisme/socialisme. L’effondrement du mur de Berlin et la décomposition de l’URSS ont fait place à la dernière idéologie qu’est celle atlantiste-libérale. Dans ce contexte de post-bipolarisme, l’Afrique s’est retrouvée perdue, orpheline, sans singularité idéologique et elle a intégré le néo-libéralisme dans son paradigme de civilisation. La social-démocratie (socialisme réformiste avec libéralisme modéré) s’est rapidement imposée en opposition aux micro-nationalismes et socialismes révolutionnaires des indépendances africaines. Il y a donc une ligne politique et économique qui soutient des concepts qui ne correspondent pas à nos réalités africaines. La seule voie à suivre est celle du panafricanisme, sur les traces des pères des indépendances, adapté aux réalités de notre époque. Une personnalité, à savoir Kemi Seba, figure de proue de la résistance africaine au XXIe siècle et président-fondateur de l’ONG Urgences Panafricanistes que je représente en Italie,  y fait allusion dans son livre  » L’Afrique libre ou la mort  ».

Aujourd’hui nous avons besoin d’une philosophie politique africaine ni communiste, ni libérale, ni micro-nationaliste, ni mondialiste, ni social-démocrate, mais 100 % panafricaniste et endogène. Une philosophie qui sera centré sur l’Ubuntu (humanisme africain), l’entraide, l’identité africaine, le fédéralisme en vue de la création d’un bloc de civilisation souverain et anti-impérialiste, le refus du capitalisme, la Tradition Primordiale quelle que soit notre sphère religieuse et la Femme Noire, car elle est le moteur et la matrice, ainsi que le pilier de nos vies. Tous cela selon nos réalités.

On peut résumer ces concepts sous le nom d’  »Afrocratie ». Pourquoi Afrocratie ? Car c’est dans ces réalités cités qui réside le sort de notre véritable pouvoir. La décolonisation économique et politique est vitale, mais celle idéologique est un facteur urgent pour une nouvelle renaissance africaine.

https://www.nofi.media/2022/03/renaissance-africaine