Techno à l’Elysée, Hellfest… Quelle identité musicale ?

17.07.2018

Par Thierry Bouzard, journaliste, collaborateur du quotidien Présent et historien de la musique et de la chanson ♦ La musique rend compte de l’état des liens unissant les communautés. Elle est aussi devenue un outil de conditionnement d’autant plus pernicieux que ceux qui le subissent n’ont généralement pas conscience de ses modes d’action ni de sa puissance. Que Pigasse rachète le festival Rock en Seine en 2017 ne relève pas du mécénat ni de la philantropie : « C’est aussi un projet politique : nous utilisons l’éducation et la culture pour changer le monde ».

On croit généralement que la musique relève de choix personnels sans considérer que l’on ne fait que choisir dans l’offre qui est présentée, suggérée, et surtout imposée. La démarche relève du plaisir et ne semble pas porter à conséquence : ses implications politiques entrent rarement en ligne de compte. Traduisant cette attitude, les politiques défenseurs de l’identité nationale n’interviennent pas dans ce qu’ils considèrent relever exclusivement de choix privés. Inutile de créer des clivages dans un domaine où l’offre morcèle les communautés sans fournir de réponse simple. Le terrain culturel musical a donc été littéralement abandonné par les nationaux au profit de l’Etat et d’intérêts financiers. Si le réflexe identitaire fonctionne encore un peu dans l’alimentation et le vêtement, il a totalement déserté le terrain musical. La musique commerciale a envahi l’espace public et privé. Pas de lieu public, transport, zone commerciale sans musique mondialisée : les troupes d’occupation culturelle règnent sans partage. Les plus ardents militants pour la défense de l’identité française et européenne ont adopté ces musiques sans y déceler la moindre contradiction avec leur engagement. Dans le domaine musical, on consomme joyeusement sans aucun discernement. La jouissance d’abord !

Le plaisir musical d’abord !

La musique est un outil de séduction, c’est elle qui rassemble, qui entretient les liens collectifs. Laisser croire que des choix personnels n’auraient pas de conséquence collective en matière musicale relève de la mystification. La civilisation européenne dispose pourtant de la plus longue mémoire musicale vivante de l’histoire de l’humanité. L’assertion pourrait être discutée, mais pas en ce qui concerne la mémoire écrite. En effet, elle est la seule à avoir conçu une écriture musicale permettant l’existence de l’orchestre où les musiciens suivent la mélodie composée pour chaque instrument. Dans les autres cultures tous les musiciens improvisent sur le thème indiqué par le meneur, un peu comme dans les orchestres de jazz. Cette particularité unique de la musique européenne participe de son pouvoir de séduction planétaire. Elle fascine les plus anciennes civilisations. Ainsi le plus grand nombre de master class d’instruments classiques se situe dans les pays asiatiques. Ces notions sont portant ignorées de ceux qui s’attachent à défendre l’identité de la civilisation européenne.

Quelle musique d’Etat ?

La promotion de la musique techno dans le palais de l’Elysée s’inscrit donc dans ces opérations de subversion de notre identité musicale nationale. Non pas que l’on ne puisse écouter ces musiques, mais l’Elysée est le siège du pouvoir exécutif. De tout temps l’autorité politique a utilisé la musique comme modèle et outil de rayonnement culturel, même si le terme de “soft power” n’est que d’introduction récente. Plus spécialement, le pouvoir dispose d’orchestres dédiés à cette expression musicale officielle et aptes à jouer la plupart des styles musicaux. Composées d’excellents musiciens, dont de nombreux prix du Conservatoire, ces formations officielles sont intégrées actuellement à la Garde républicaine et comptent un orchestre symphonique, une musique d’harmonie, le Chœur de l’armée française et une fanfare de cavalerie. Les trompes de chasse, la batterie napoléonienne et d’autres formations comme orchestres à cordes ou groupe de rock peuvent couvrir d’autres genres musicaux suivant les besoins. Ainsi l’habituel dénigrement des musiques militaires cache en réalité un mépris pour l’expression de l’identité musicale nationale incarnée par ces orchestres. Ce mépris est confirmé par le récent choix du chef de l’Etat lors de la fête de la musique. En effet, depuis des siècles, ces orchestres jouent un rôle à la fois diplomatique et culturel.

Signe de l’importance de leur mission, ils sont administrés par l’armée et font partie de la garde, actuellement républicaine mais qui fut aussi impériale et royale, entre autres. Leur substituer d’autres “artistes” dans les bâtiments où siège l’autorité de l’Etat est le signe d’une volonté officielle d’accélérer le remplacement des repères culturels musicaux spécifiques de notre identité nationale. Le débat ne peut pas se situer uniquement sur le modèle de substitution, mais bien sur celui qui est éliminé et devrait être défendu. Toutefois comment défendre ce que l’on ne connaît pas, ce qui n’a pas été identifié, ce dont on n’a même plus conscience ?

La question dépasse la critique du comportement ou de la tenue des “artistes” invités puisque même les catholiques héritiers de la plus ancienne mémoire musicale de notre civilisation ne peuvent plus contester le choix élyséen : dans leurs grandes manifestations de défense de la famille, comme à la Marche pour la Vie de janvier dernier, ils ont adopté le même style musical, et donc déjà signifié par là leur allégeance culturelle.

Le Hellfest attaque l’orthodoxie

La même erreur d’appréciation est commise dans une autre sensibilité de la dissidence quand on observe qu’un site pourtant à l’avant-garde de la réinformation comme Breizh-Info fait l’éloge du Hellfest. Il peut y avoir du très bon rock metal dissident, là n’est pas la question, mais ce n’est pas parce que ce festival regroupe des Blancs avec parfois des groupes aux références identitaires très marquées qu’il faut se laisser abuser. A l’heure où le chant du muezzin commence à se faire entendre en France, ceux qui veulent défendre son identité séculaire ne résisteront pas en utilisant le metal comme musique alternative. Cette année encore l’entrée était gratuite pour les moins de 12 ans, bientôt une scène metal pour les enfants et le conditionnement musical au berceau ? Par ailleurs, avec 81 % d’hommes blancs dépensant en moyenne 500 €, on est plus dans l’ethnique genré que dans le festival populaire.

Pour l’édition 2018 côté prestations, on pourrait discuter des paroles Kop Killer du groupe Body Count si cette thématique recuite ne relevait plus que du clip de rap en mal d’inspiration. Le groupe Watain a renouvelé son rituel démoniaque déjà interprété en 2016 et hurlé ses blasphèmes et sa haine de la religion. Déjà présent lors de précédentes éditions, le groupe suédois Therion se revendique de la secte du Dragon rouge, pratiquant la magie noire. Mais qui sait encore ce dont il s’agit ?

L’originalité venait d’ailleurs, les organisateurs ont été chercher Batushka, un groupe polonais qui chante en russe et s’attaque spécialement à la religion orthodoxe, mêlant chant liturgique, black metal et messe noire. S’en prendre à la religion catholique n’était plus suffisant, il faut maintenant qu’ils s’attaquent à l’autre racine spirituelle de la civilisation européenne, alors qu’elle renait en Russie après 70 ans de persécution communiste. Comme on peut le constater et contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire, il ne s’agit pas de clichés anodins, mais bien d’un conditionnement par la musique dans un but politique.

Le renouveau de l’occultisme mis en évidence par la remarquable étude du Père Golfier [1] montre les liens avec l’explosion des profanations de cimetières comme des suicides de jeunes satanistes, celle des voyants (10 fois plus que de prêtres ou de psychiatres), celle des films, livres ou séries TV. On ne veut plus croire au démon, mais la jeunesse joue à se faire peur avec lui. Il ne sert à rien de dénoncer les peuples qui ont perdu leur ancienne mémoire si l’on oublie les enseignements venus du fond des âges.

Les Romains mettaient déjà en garde contre des formules maléfiques mésopotamiennes et égyptiennes, les “onomata barbarika” réintroduites en Europe par l’occultiste John Dee à l’époque élisabéthaine. Ces mêmes formules reprises par Crowley et LaVey qui inspirent les paroliers de certaines chansons de rock [5]. La parole est l’expression de la croyance, en religion comme dans la formule encore en usage dans les tribunaux. Peu importe ce que croit véritablement celui qui exprime oralement une foi. Cette simple expression déclenche des mécanismes psychiques liés au rôle du son, que l’émetteur comprenne la signification des paroles ou pas, et il suffit d’avoir déjà chanté à plusieurs pour apprécier ce qui est en œuvre.

Le combat pour l’identité musicale

Si les profanations de cimetières peuvent s’apparenter à des rites, ce sont aussi et surtout des attaques contre le sacré collectif le plus fondamental, car le culte des morts est indispensable à toute civilisation. Derrière le folklore sataniste de symboles, de postures et de chansons, il y a bien des techniques opérationnelles, leur mise en œuvre conditionne la jeunesse et vise à détruire les derniers repères collectifs de nos sociétés.
Ne considérer que l’aspect musical sous le prétexte que l’on ne croit plus à la foi attaquée revient à nier la réalité de phénomènes psychiques facilités par la musique. De même que vouloir mener la bataille pour l’identité d’un peuple et d’une civilisation, sans avoir défini au préalable l’identité musicale à défendre, conduit inéluctablement au désastre.

Thierry Bouzard est l’auteur de Des Chansons contre la pensée unique, éditions des cîmes, 2014

[1] Père Golfier, Tactiques du diable et délivrances, Artège, 2018
[2] Père Benoît Domergue, La Musique extrême, un écho surgi des abîmes, François-Xavier de Guibert, 2004.

 

Source : Correspondance Polémia