György Nógrádi: "On ne peut jamais atteindre 100% de sécurité"
La crise migratoire en Europe tend à s'aggraver chaque année. La Hongrie est peut-être le seul pays de l'Union européenne à avoir agi pour endiguer ce phénomène et lutter contre l'afflux de migrants, avec l'édification d'une barrière à sa frontière sud, et essaye par ailleurs de s'opposer aux décisions de Bruxelles sur les quotas obligatoires de migrants. Les chefs de gouvernement de pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) se sont solidarisés avec la position du Premier ministre hongrois Viktor Orbán.
Le phénomène migratoire ne soulève pas seulement les questions de la perte d'identité, du métissage ou de l'effacement du christianisme en Europe. Il soulève aussi des questions de sécurité élémentaire, comme l'a montré la vague d'attentats qui a frappé l'Europe occidentale depuis 2015.
Geopolitica.ru a eu une conversation avec le professeur György Nógrádi à propos des problèmes de sécurité en Hongrie, des frontières, de la possibilité de la création d'une «armée européenne» et de la crise migratoire en Europe.
[György Nógrádi est expert en questions sécuritaires et économiste. Professeur à l'université Corvinus, l'Université de sciences économiques et d'administration publique de Budapest, il y dirige le département de l'économie de la sécurité. Il est régulièrement invité par les médias hongrois sur les questions de sécurité, et donne régulièrement des conférences en Hongrie et dans le monde entier].
György Nógrádi. Photo: Geopolitica.ru
- Comment décririez-vous la situation sécuritaire de la Hongrie?
- Au moment du changement de régime, la Hongrie avait 5 voisins, elle en a maintenant 7 [NDLR : au sud de la Hongrie, après l'éclatement de la Yougoslavie, il y a désormais la Serbie, la Croatie et la Slovénie]. Concernant les questions de sécurité, la Hongrie était alors face à deux dilemmes. Premièrement: qui garantit notre sécurité économique? Beaucoup d’options existaient, le gouvernement de l’époque avait alors choisi l’Union européenne. Deuxièmement: qui garantit notre sécurité politique? La réponse fut alors l’OTAN. Par ailleurs, nous avons intégré l’OTAN le 12 mars 1999 avec les Polonais et les Tchèques. Nous avons aussi rejoint l’UE, mais dans une tout autre période historique. Actuellement, la Hongrie fait partie de l’Ouest, mais nous aimerions entretenir de bonnes relations avec la Russie, la Chine et d’autres régions du monde.
La question migratoire laisse place à une situation nouvelle. La Hongrie a construit un grillage à sa frontière, puis un second, ce qui a rendu impossible le passage de notre frontière par les migrants. L’UE a conclu un accord avec les Turcs. À partir de là, la Turquie a de manière décisive retenu les migrants sur son sol, mais c’est un autre sujet, et la route des Balkans était alors presque condamnée. Il restait alors l’itinéraire méditerranéen, très emprunté. Le point d’orgue fut 2015, on ignore combien de personnes sont alors arrivées. Plus d’un million de personnes sont alors rentrées en Allemagne. Nous ne disposons pas de données précises sur ce point, 300000 personnes ont disparu des radars du jour au lendemain.
En ce moment, l’une des questions politiques centrales en Allemagne consiste à déterminer combien de personnes peuvent être accueillies sur la base de l’accord de 18 pages passé entre les trois partis au gouvernement. La CDU, la CSU et le SPD laissent entendre qu’entre 180000 et 220000 migrants doivent être accueillis, dont 1000 par mois sur la base d’un regroupement familial. La question migratoire est devenu centrale en matière de sécurité en Europe.
- La position de la Russie à propos de l'OTAN est claire: nous sommes les adversaires. Mais quelle est l'attitude de la Hongrie par rapport à l'Alliance Atlantique? Quels sont les problématiques?
- Lorsque le monde socialiste s’est effondré, tout le monde cherchait la sécurité. Il était alors évident que l’ONU et l’Europe de l’Ouest garantissaient la sécurité, mais seulement sur le papier et pas dans les faits. L'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) est très belle sur le papier, mais elle ne garantit pas la sécurité. La position européenne était alors de penser que la sécurité des ex-pays socialistes serait assurée par l’OTAN.
Quel est le problème? Je pense qu’une nouvelle situation a été créée par les adhésions successives de nouveaux pays à l’OTAN ces dernières années. L’enjeu est de mettre en place des relations normales avec la Russie. A cela s’ajoute les changements dus à l’arrivée de nouveaux présidents américains.
J’ai récemment lu les mémoires de Condoleezza Rice, qui fut 4 ans première conseillère en sécurité et 4 ans secrétaire d’État [aux États-Unis, le secrétaire d'État est l'équivalent du Ministre des Affaires étrangères] sous le mandat de Bush Jr. Elle écrit que sous Bush Jr, ce dernier avait rencontré Poutine, pour se mettre d’accord sur une personne chargée de maintenir les relations bilatérales. Du côté russe, le ministre des Affaires étrangères fut choisi, du côté américain le rôle revint à Rice et à partir de ce moment les relations américano-russes allaient être maintenu sur cette base.
Il est évident que la position des ex-pays socialistes sur ce point diffère. Les Scandinaves, bien que n'ayant pas été des pays socialistes, ont eux aussi, comme les Polonais, peur des Russes. Les Tchèques, les Slovaques et les Hongrois non. Les positions par rapport à la Russie sont donc divergentes dans cette région. Pour les Hongrois, la position est que « Nous n’avons pas de problème avec la Russie », nous accueillons Poutine avec plaisir, mais les Polonais ont une position totalement différente sur ce point. En matière de relations internationales, cette question est essentielle pour le V4. Les Tchèques, les Slovaques et nous pensons qu’il n’y a pas de danger russe. Les Polonais, pour des raisons historiques pensent le contraire.
- Que pensez-vous de PESCO [coopération structurée permanente, CSP, ou PeSCo en anglais] ? Il y a au moins deux opinions différentes: la première est positive («L'Europe sera indépendante de l'OTAN» sur le plan militaire), la deuxième est négative (cela permet à l'OTAN de se déployer plus rapidement). Qu'en pensez-vous?
- L'ancienne Secrétaire d'État des États-Unis Madeleine Albright [durant le mandat de Bill Clinton, de 1997 à 2001] est pour la création d’une armée européenne, à la condition qu’elle soit sans ambiguïté et du côté des Américains, sans toucher à ce qui existe au sein de l’OTAN. Dans ce cadre, je pense qu’il est très difficile de faire émerger une défense européenne. Par ailleurs, l’Europe a une histoire d’une grande complexité, il me faudrait une heure et demie pour en parler. Les relations franco-allemandes, le rôle de De Gaulle dans la sortie de la France de l’OTAN [sortie du commandement intégré de l'OTAN en 1966], les membres de l’OTAN, leur structure et leur politique. Le ministre de la Défense allemand et vice président de la CDU, Ursula von der Leyen, a dit qu’une défense européenne ne sera pas sur pied avant que ses petits-enfants n’aient grandi. En somme, il n’y aura pas d’évolution rapide sur ce point.
Il y a une question qui est essentielle. L’OTAN demande à ses membres de consacrer 2% de leur PIB aux dépenses militaires. Qui atteint ce seuil des 2% ? Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Estonie et la Grèce. Les Polonais et les Roumains disent qu’eux aussi. En ce moment a lieu en Allemagne la formation d’un gouvernement. L’Allemagne est la puissance dirigeante de l’UE.
Il y a un film, le procès de Nuremberg, dans lequel on peut entendre cette phrase: «Berlin - Allemagne, Allemagne - Europe». À l’heure actuelle, les dépenses militaires allemandes représentent 1,19% de leur PIB. Les trois partis de la cotations au pouvoir ont décidé de ne pas augmenter ces dépenses pour le moment. Si les Allemands restent sur cette position, les autres pays européens en feront de même. Et donc, l’idée d’une défense européenne restera, mais n’avancera pas.
Pour avoir une armée européenne, il faudrait notamment un réseau satellitaire d'information. Il faudrait de l’argent, de la politique, de l’énergie. Il se peut que la volonté existe, mais sa mise en pratique sera longue.
- À quel point la Hongrie est devenue sécurisée au cours des derniers mois (années) dans le contexte de la crise migratoire? Que peut-on faire pour plus en sécurité?
- Premièrement, la Hongrie n’a jamais eu de colonies. Deuxièmement, la population hongroise ne veut pas des migrants. C’est l’avis de plus de 90% des Hongrois. Enfin, j’ai dit à l’occasion d’une conférence qu’il fallait un grillage à notre frontière 9 jours avant le avant son annonce par le gouvernement. Le premier ministre hongrois, Viktor Orbán, était seul dans l’UE lorsqu’il a fait savoir qu’il entendait construire un grillage.
Désormais, nous sommes soutenus par les pays du V4 sur ce point. Le nouveau gouvernement autrichien, les pays de l’Est de l’Europe et la plupart des pays scandinaves nous soutiennent. Cela veut dire que la bureaucratie bruxelloise et les nations européennes ont des avis divergents sur ce question.
Nous verrons ce qu’il adviendra, mais je suis sûr que d’autres changements de gouvernement sont à attendre en Europe. Cela s’est produit en Autriche et un changement similaire risque d’arriver en Italie.
- Les enquêtes de police en Europe ont permis d'établir que Salah Abdeslam [le seul rescapé des attentats de Paris du 13 novembre 2015] aurait convoyé treize terroristes depuis la Hongrie durant la crise migratoire de 2015 (source : Magyar Idők, 14 août 2017). Selon certaines informations, il se serait rendu à Budapest à trois reprises, au cours de l'été 2015, quelques mois avant les attentats de Paris, le 13 novembre 2015, et Bruxelles le 22 mars 2016.
- En 2015, énormément de personnes sont entrés en Europe. On ignore combien exactement. Ces gens ont emprunté la route des Balkans sur laquelle se trouve la Hongrie. Les auteurs des attentats de Paris ont d’ailleurs passé quelques jours à Budapest. Jusqu’à présent, les attentats ont eu lieu seulement en Europe de l’Ouest, où vit une minorité très importante d’immigrés.
Le problème fondamental est que la société multiculturelle a échoué partout et nous considérons qu’environ 85% des migrants sont des migrants économiques. La position de la Hongrie consiste à vouloir renvoyer ces migrants économiques et fermer les frontières extérieures de Schengen.
On ne peut jamais atteindre 100% de sécurité. Les Hongrois peuvent défendre leur frontière méridionale, mais on ne peut savoir si des terroristes, déjà dans Schengen, entrent par la frontière autrichienne sur notre sol.
La communauté musulmane vivant en Hongrie est particulièrement peu nombreuse. Il y a environ 30000 musulmans en Hongrie, mais ce n’est qu’une estimation. La plupart d’entre eux sont diplômés d’universités hongroises, sont mariés à des hongroises, ont une famille hongroise et font partie de la classe moyenne supérieure. Ils n’ont jamais posé le moindre problème dans notre pays, mais, encore une fois, il n’existe pas de garantie absolue.
Egon Bahr, grand spécialiste allemand de la politique de sécurité et décédé en 2015, a un jour eu cette phrase : «La sécurité dans le passé est absolue, elle est relative dans le présent et aléatoire pour ce qui est ce de l’avenir». Je suis d’accord avec lui.
- C'est la différence entre les réfugiés et les migrants. Est-ce qu'on bien vérifie les «vrais réfugiés», pour être sûrs qu'ils ne sont pas des terroristes affiliés à l'État Islamique?
- La Hongrie a fermé sa frontière sud. Nous examinons les demandes de ceux qui veulent entrer légalement en Hongrie. Ces dernières années, la Hongrie a d’ailleurs fait entrer bon nombre de personnes venant de zones où la guerre était avérée, mais notre position consiste à dire que ces personnes doivent rentrer dans leur pays, l’Ethiopie, la Somalie, la Syrie, l’Erythrée, une fois le conflit terminé.
Ainsi, les migrants contournent la Hongrie et je pense que leur objectif est de se rendre les pays européens les plus riches, c’est à dire la France, l’Allemagne, la Grande Bretagne, l’Autriche, la Suisse, les pays du Benelux et scandinaves.
J’avais effectué la tournée en Suède l’année dernière et je m’étais alors laissé dire avec beaucoup d’intérêt que les migrants ne pouvaient se rendre plus au nord que Stockholm, parce que les températures y sont trop basses pour eux