Gilad Atzmon - un Israélien critique Israël

14.12.2023

Pourquoi il faut aujourd'hui des voix critiques sur Israël

Lorsqu'il s'agit de l'État d'Israël, les voix critiques sont rares, surtout dans les pays germanophones. Au lieu de cela, on entend de plus en plus souvent dans les cercles des grands partis d'opposition populistes de droite comme l'AfD et le FPÖ qu'"une attaque d'Israël serait une attaque contre nous tous" (Alexander Gauland) et même en Autriche, Herbert Kickl a fait bloc avec tous les partis parlementaires en faveur d'Israël. Il est donc d'autant plus important que des voix critiques remettent en question l'image d'Israël "comme seule démocratie au Proche-Orient" diffusée de manière non critique par les médias de masse, afin de pouvoir dresser un tableau réaliste de la situation dans la région. Car sans cela, il n'est pas possible de mener une politique étrangère au Proche-Orient en faveur de l'Allemagne et de l'Europe.

Du sionisme à l'entente entre les peuples

Une telle voix critique et israélienne est celle du musicien, activiste politique et auteur israélien Gilad Atzmon. Né en 1963 à Jérusalem, il a été imprégné dès son plus jeune âge de la thèse de la supériorité des Juifs sur les Arabes. Son grand-père, membre de l'organisation terroriste Irgoun, qui avait commis des attentats contre la présence britannique en Palestine à l'époque du mandat britannique, y a également contribué. Outre la haine des Arabes et des Britanniques en Palestine, il a également appris de lui la haine de l'Allemagne, raison pour laquelle son père ne l'a pas autorisé à acheter une voiture allemande.

Plein d'enthousiasme, le jeune Atzmon se prépare à servir dans l'armée israélienne, Tsahal, à l'âge de 17 ans. Sa génération a grandi avec l'incroyable victoire d'Israël sur ses voisins arabes lors de la guerre des Six Jours, qui a implanté dans leur esprit, en tant que personnes ayant reçu une éducation laïque, la fable de la supériorité des Israéliens sur les Arabes. Il ne connaissait les Palestiniens que comme des ouvriers agricoles, des gens qui réparaient leur voiture pour la moitié du prix normal - mais pas comme des gens avec qui on travaillait ou avec qui on avait des contacts.

Le contact avec le musicien de jazz noir Charlie Parker, dont la musique lui plaît mais n'a rien à voir avec les thèses de la supériorité du "peuple élu" et d'une morale chauvine, constitue pour lui un premier tournant. Lorsque la guerre du Liban éclate en juin 1982, Gilad Atzmon est déjà plus attiré par le jazz que par le sionisme, c'est pourquoi il demande à intégrer l'orchestre de musique de l'armée de l'air israélienne, ce qu'il obtient. En 1984, il visite avec l'orchestre le tristement célèbre camp de détention israélien d'Ansar, au sud du Liban. C'est là qu'il rencontre pour la première fois des combattants de l'OLP emprisonnés, qui ne sont pas dévots comme les Palestiniens d'Israël, mais animés d'un esprit combatif. Le jeune Gilad se rend compte à ce moment-là que ces gens ne sont pas des esclaves soumis mais des combattants de la liberté. Lorsque l'officier israélien du camp finit par lui montrer les cellules d'isolement de 1m20 et de 1,30m de haut en lui disant "Deux jours dans ces cellules font de chaque homme un sioniste fanatique", il sait qu'il est du mauvais côté. Dès lors, il commence à remettre en question de manière critique la double morale de l'État israélien. Il s'est rendu compte que "Shalom" ne signifiait pas la paix pour les Israéliens, mais la sécurité aux dépens des Palestiniens, et que si les Juifs avaient le droit de revenir après 2000 ans, les Palestiniens perdaient le leur dès qu'ils restaient plus de deux ans en dehors du pays.

Quel juif errant ? - une critique de la "judéité" d'Israël

Dans son livre The Wandering Who? (Quel juif errant?) (2011), il soumet la politique identitaire israélienne et l'image de l'État juif à une critique approfondie. Il distingue trois dimensions de l'identité israélienne: d'une part les Juifs en tant qu'êtres humains, d'autre part le judaïsme en tant que religion et enfin la judéité en tant qu'idéologie. En se référant à l'historien israélien Shlomo Sand et à son ouvrage L'invention du peuple juif (2011), Atzmon estime qu'il n'existe pas de peuple juif ethniquement homogène. Au contraire, le judaïsme primitif, tout comme le christianisme, était une religion missionnaire, ce qui explique l'émergence de communautés juives en Espagne et la conversion des Khazars au judaïsme. Par conséquent, les immigrants juifs ne seraient pas en continuité avec les Juifs de l'Antiquité en Palestine - les analyses génétiques suggèrent même que les Palestiniens actuels sont plus proches des Juifs de l'Antiquité que les Israéliens actuels. Ainsi, la revendication des sionistes sur la Palestine n'est rien d'autre que de la hasbara (propagande). Mais pour les sionistes, cette création de "judéité" est importante, d'une part pour séculariser l'idée que les Juifs sont un peuple élu (spirituellement), et d'autre part pour justifier le projet sioniste.

Le lobby israélien - bouclier d'Israël à l'étranger et obstacle sur le chemin de la paix

De même, Gilad Atzmon montre qu'Israël a mis en place un réseau de lobbying international centré sur l'Occident, qui fait plus d'obstacles que de bien à l'établissement de la paix avec les Palestiniens. Le jeune homme, qui a eu de nombreux contacts avec les survivants de l'Holocauste en Israël dans sa jeunesse, critique ici l'instrumentalisation par l'État juif de la persécution des Juifs par le nazisme pour justifier sa propre persécution des Palestiniens.

Selon Atzmon, cela ne conduit pas seulement à justifier le chauvinisme israélien et ses crimes contre les Palestiniens, mais rend également Israël incapable de tirer de quelconques leçons de l'histoire, vue comme une suite d'actions et comme les conséquences qui en découlent. Au lieu de cela, il n'existe dans la conscience israélienne qu'un pragmatisme à court terme, dépourvu de toute éthique envers ceux qui ne représentent pas le chauvinisme israélien, pas même envers l'opposition israélienne dans son propre pays.

Pour illustrer les conséquences terribles que cela pourrait avoir pour le monde entier, il cite le débat en Israël sur une éventuelle attaque nucléaire contre l'Iran, dont il est régulièrement question dans le cadre de le dite "option Samson". Dans la lutte contre ses propres ennemis présumés, tous les moyens sont justifiés, même si cela pourrait entraîner l'extinction de l'humanité. Ceux qui ne tirent pas les leçons de leur propre histoire sont condamnés à la répéter: à ce stade, l'activiste politique israélien mentionne que les Etats-Unis et le Royaume-Uni suivraient également cette voie, car ils ne réfléchissent pas à leurs propres crimes pendant la Seconde Guerre mondiale lors des bombardements de Dresde, Hambourg et Nagasaki. Ils seraient ainsi contraints de poursuivre leur propre impérialisme aujourd'hui.

Son analyse de la politique identitaire israélienne culmine dans la thèse selon laquelle la paix au Proche-Orient avec Israël n'est possible que si ce dernier renonce à sa prétention à "être élu". Car, selon Atzmon, le tribalisme et l'universalisme humaniste ne peuvent pas coexister. Mais alors, à quoi peut ressembler une paix au Moyen-Orient ?

Pas de paix au Proche-Orient sans désionisation d'Israël

Alors qu'au niveau international, c'est principalement la solution des deux États qui est discutée comme solution de paix viable, l'auteur israélien emprunte une voie inattendue. Sa proposition est aussi inhabituelle que radicale: la paix dans la région ne peut être obtenue que si Israël renonce à son double standard moral et procède à une désionisation de l'État. Il entend par là le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, mais aussi la fin de l'idéologie chauvine de l'État d'Israël. Ce n'est qu'en renonçant à ses propres idées de supériorité, en reconnaissant que le pays dans lequel vivent aujourd'hui des millions de Juifs est aussi la patrie des Palestiniens et qu'il s'appelle la Palestine, qu'une cohabitation entre Juifs et Arabes est envisageable.

La guerre actuelle en Palestine: un cercle vicieux pour Israël

Bien que Gilad Atzmon n'accorde plus d'interviews aux médias depuis la crise du coronatralalavirus, il commente les événements actuels au Proche-Orient sur son compte Telegram "Gilad Atzmon thoughts and music". Il y critique la conduite de la guerre israélienne, la qualifiant d'incompétente et de conséquence extrême de la politique identitaire de l'État. Selon lui, l'aventurier politique Benjamin Netanyahu n'a pas seulement ruiné Tsahal et le Mossad sous son règne, mais aussi la réputation d'Israël dans le monde avec le bombardement ciblé d'enfants et de femmes palestiniens. Il considère le 7 octobre comme le plus grand désastre de l'histoire militaire israélienne, conséquence de l'hubris israélien. Il est évident que l'État israélien n'est pas seulement incapable d'offrir un foyer sûr aux Juifs, mais qu'il représente également le plus grand danger pour eux à l'heure actuelle, selon les critères de la "doctrine Hannibal". Dans ce contexte, Atzmon continue de plaider pour qu'Israël cesse sa politique d'escalade et devienne "un peuple comme les autres".

Mais son pronostic reste sombre: Netanyahou n'a rien à perdre, mais les Israéliens et les Palestiniens ont tout à perdre.

Source : http://euro-synergies.hautetfort.com

Traduction par Robert Steuckers