De l'origine du mot « Nègre »
De l’origine du mot « Nègre » : La race comme imagination dans l’ère modèrne
Pour bien comprendre son origine, nous devons aller un peu en arrière dans l’histoire : Partant du fait que de nombreuses critiques se sont exprimées sur ce mot depuis plus d’un siècle, plus récemment il est devenu la propriété de rappeurs, qui l’utilisent de la manière la plus nuancée, il est donc difficile de ne pas critiquer un terme aussi provocateur, et parfois il semble qu’il y ait peu de gens dans la sphère publique qui n’ont pas ajouté leur grain de sel au débat en cours sur son utilisation.
Mais ce n’est pas là que nous voulons en venir. Nous irons en arrière pour examiner l’histoire de ce mot, ses connotations compliquées et les bibliothèques du discours négrophobe sur lesquelles il s’appuie.
La race est le fruit de l’imagination moderne. Dans les temps anciens, l’humanité ne voyait que des tamazighs, mandé, bambara, bantous, nouba, egyptiens, grecs et bien d’autres, mais ne croyait pas au concept de noirs ou blancs. Il faudra attendre les « Lumières », lorsque les puissances européennes ont commencé à mêler science et impérialisme, pour qu’elles « inventent » la suprématie de la peau claire et l’infériorité du l’Homme Noir.
C’est là qui se trouve la racine du racisme dans le monde. Ils l’ont construit à partir d’hypothèses eurocentristes et de théories basées sur des expériences imparfaites et des hypothèses corrompues.
« Nègre » est un mot de seulement cinq lettres qui est devenu une insulte depuis 500 ans. Mais le concept du terme est une arme de destruction massive, le raccourci vers un champ de connaissances qui, depuis plus de 500 ans, sur tous les continents, est voué à l’élévation des peaux claires et au dénigrement des peaux sombres.
C’est l’exemple le plus grossier de ce qu’on appelait autrefois la « théorie de la race » , mais ce que nous pourrions maintenant appeler le « racisme scientifique » dans cette époquequi devrait etre plus égalitaire.
Déshumanisation de l’homme noir pour justifier l’inégalité
Le négrophobe Arthur de Gobineau (1816-1882), defenseur de l’inégalité des races huamaines.
L’inégalité et l’oppression avaient besoin de logique et elles l’ont trouvée dans l’oppression des « races » .La qualité et la supériorité (liée aux peuples) étaient nécessaires pour démontrer la justice, le naturel et l’inaltérabilité du statu quo.
Cheikh Anta Diop (1923-1986).
« La race est une notion géographique. Si l’homme noir n’était jamais sorti de l’Afrique, il n’y aurait pas eu de différenciation raciale, l’humanité serait homogène et noire. » –Cheikh Anta Diop, pour démentir les théories racialistes des penseurs européens
Les hiérarchies raciales ont placé les pauvres et ceux qui avient perdu leur pouvoir en bas et les riches et les puissants en haut. Le blanc était considéré comme beau au XVIIIe siècle par Johann Joachim Winckelman, le père de l’histoire de l’art européen, un garçon fétichiste des traits méditerranéens des sculptures romaines en marbre blanc. Mais il posait le noir comme l’antithèse naturelle de la beauté (négrphobie). Le blanc a reçu un nom scientifique et une lignée historique au cours des années 1800, tandis que le noir a été diabolisé, rendu indigne de l’histoire et de sa lignée. Le blanc a été rendu supérieur par les anthropologues du XVIIIe siècle qui ont collecté des crânes humains et dessiné des graphiques comparant les angles et les traits du visage, avec des crânes africains placés d’un côté, près des singes et des crânes européens de l’autre.
La négrophobie dans la pensée européenne
Ainsi est née l’histoire de Noir et Blanc, bon et méchant, maître et esclave : une relation qui place une chose comme l’opposé et l’antagoniste de l’autre. La racialisation de l’Homme Noir n’a pas simplement été établie, mais est intrinsèquement gravée dans la structure culturelle de l’histoire par des gens qui auraient dû mieux le connaître :
Immanuel Kant, Voltaire, Charles Darwin, Francis Galton, Joseph Conrad, Ralph Waldo Emerson, Henry Morton Stanley… ce ne sont là que des noms que vous reconnaîtrez peut-être. En dessous d’eux se cache une sombre légion d’hommes, dont les études humaines, les mesures, les théories, les histoires, les fictions et les taxonomies ont créé et maintenu cette archive perverse du pouvoir, qui a formé la base d’une machine d’oppression qui était et continue d’être l’une des plus importantes et des plus systématiques de l’histoire humaine.
Trop d’africains ont été tués, réduits en esclavage et torturés à mort et tout cela a été fait en toute bonne conscience, sur la base de faits concrets qu’on vient d’enoncer.
De la traite negrière au génocide aborigène en Australie, en passant par l’apartheid sud-africain, les ports négriers de Lisbonne et de Liverpool, il y eu une nécessité empirique, car tout était imprimé proprement dans les royaumes (Angleterre, Espagne, Portugal) et États impériaux (France Hollande), de definir l’Homme Noir. Dans les archives poussiéreuses des bibliothèques du monde, des centaines de milliers de pages définissent le mot « Nègre » .
Harry Truman a utilisé ce mot. Tout comme Lyndon B. Johnson. Richard Nixon l’a utilisé, ainsi que Flannery O’Connor et Ernest Hemingway. Il a été chanté dans des chansons et inclus dans des comptines, puis c’est devenu une insulte « acceptable » parmi les Blancs, au sein même des libéraux. Ce terme dans l’histoire et encore aujourd’hui a eté beaucoup plus une insulte que autre chose.
De l’origine du mot « Nègre »: Soyons vigilants face aux mots de l’oppresseur
Mais précisons quand meme: le pouvoir de ce mot est ambivalent et peut être coopté par ceux qu’ils nous oppriment, car le pouvoir du mot « Nègre » ne vient pas seulement de son usage historique, mais aussi du peuple noir qui revendique le mot et tente de le priver de son caractère raciste pour le réinvestir avec le pouvoir vernaculaire noir.
À mon avis, l’utilisation du mot peut être libre dans les conversations privées entre noirs, mais doit être abordé avec prudence dans la sphère publique. La façon dont nous, les Afro-descendants, utilisons le mot « Nègre » a une signification différente, de la façon dont il est abordé dans la sphère publique. Que les Blancs soient confus par l’utilisation du terme parce qu’ils entendent les Noirs le dire, ne doit pas nous interesser
Les artistes noirs doivent descendre en eux-mêmes, armés uniquement des mots pour une recherche incessante à fin de redéfinir la négritude, parce que l’oppresseur est présent dans la même langue qu’ils parlent. Ce terme a été utilisé si systématiquement, si ouvertement pendant longtemps à travers l’histoire, qu’il est important de comprendre comment, lorsque les Noirs l’utilisent. Aujourd’hui on assiste à un monde où le mythe de la « blancheur » s’affaiblit ; où l’Afrique cherche de grimper ; où la Chine est désormais une puissance mondiale ; mais où les hommes noirs remplissent encore les prisons occidentales ; où les Africains qui émigrent (via une Méditerrannée qui est devenue un tombeau) qui vers ceux qui ont volé leurs richesses, ; où les corps d’enfants noirs continuent d’être commercialisés pour certains ONG ; où l’Afrique est synonyme de pauvreté. C’est le résultat historique du mot « Nègre » et son origine , qui n’est plus facilement recraché à travers la bouche, mais son concept se cache encore dans les coins sombres des esprits. Le pouvoir se développe, s’adapte, se réorganise, évolue.