Vers un nouveau « Nomos de la Terre »

24.04.2017
Schmitt constate que l'époque moderne est celle de l'évanouissement de l'ancien Nomos et il s'interroge sur celui qui est appelé à lui succéder.

Après 1945, le thème essentiel des écrits de Schmitt est celui du « Nomos de la Terre ». Schmitt constate que l'époque moderne est celle de l'évanouissement de l'ancien Nomos et il s'interroge sur celui qui est appelé à lui succéder. L'une des questions essentielles qu'il pose est celle de savoir si l'histoire s'oriente vers une unification politique du monde et quelles peuvent en être les conséquences, aussi bien pour le monde que pour la notion de politique elle-même.
Ainsi qu'on l'a vu, c'est à partir de 1890 que, selon Schmitt, l'ancien ordre westphalien du jus publicum europaeum, né à la fin de la guerre de trente ans (1648), a commencé à se dissoudre dans un « universalisme sans espace » et dans le « normativisme vide » et abstrait d'une légalité internationale sur laquelle aucun accord ne peut s'établir, abandonnant son centrage européen sans parvenir à trouver un fondement de rechange en matière de légitimité. Carl Schmitt donne, dans cette perspective, une place essentielle au traité de Versailles, qui n'a pas seulement abaissé l'Allemagne et substitué le principe des nationalités à la légitimité des anciennes dynasties, mais aussi représenté le moment où l'Europe s'est véritablement vu détrôner de ses anciennes prérogatives1.
Schmitt voit dans le Nomos de la Terre – terme qu'il a utilisé pour la première fois en 1934, au moment où il abandonnait en partie son ancien décisionnisme pour se rallier à une « pensée de l'ordre concret » (konkretes Ordnungsdenken) faisant une large part à l'institutionnalisme de Maurice Hauriou ou de Santi Romano – l'ensemble ordonné des entités politiques liées par des règles communes. Le Nomos n'est pas compris chez lui dans le sens de la loi (Gesetz), c'est-à-dire comme simple produit de l'ordre législatif, mais comme une « mesure (Messung) première », une répartition ou un partage originaire de l'espace. L'erreur de la modernité occidentale, selon Schmitt, a précisément été de remplacer la loi comme ordre concret (Nomos) par la loi comme simple règle (Gesetz). Le Nomos relève bien entendu de la logique de la Terre, dans la mesure où y est affaire de délimitations. Sans délimitations, sans limites spatiales, pas d'ordre possible : tout ordre fondamental (Grundordnung) est un ordre spatial (Raumordnung). Le droit lui-même, souligne Schmitt, a un fondement tellurique « où coïncident espace et droit, ordre et localisation »2. Du point de vue de la pensée de l'ordre concret, tout nomos résulte de l'unité de l'ordre spatial (Ordnung) et de la localisation (Ortung), c'est-à-dire de la possibilité d'orientation dans le monde d'une communauté donnée. Le Nomos, finalement, est la forme immédiate (unmittelbare Gestalt) par laquelle l'ordre social et politique d'un peuple devient spatialement visible. C'est dans la mesure même où il constitue un ordre territorial et spatial concret que le Nomos représente l'ordre général de la Terre.
La question du « nouveau Nomos de la Terre » se pose sous la forme d'une alternative, dont Carl Schmitt a défini les termes dès la fin des années trente : le monde de l'avenir sera soit unipolaire, soit multipolaire. S'il est unipolaire, il sera inévitablement soumis à l'hégémonie de la puissance dominante, qui ne peut être aujourd'hui que les États-Unis. Ce sera alors l'avènement d'un monde unifié que Schmitt assimile à la fin du politique, puisque l'essence du politique implique qu'on puisse toujours déterminer, par rapport à la pluralité des acteurs, qui est l'ami et qui est l'ennemi (il n'y a de politique que pour autant qu'il existe au moins deux polities différentes). Si le monde reste en revanche un monde « politique », se sera tout aussi nécessairement un monde multipolaire, composé de « grands espaces » (Groβräume) – espaces culturels et creusets de civilisation, mais aussi espaces géopolitiques -, qui seuls pourront jouer un rôle de régulation et de diversification par rapport au vaste mouvement de la globalisation. Schmitt résume cette alternative d'une formule : « Grand espace contre universalisme »3
Carl Schmitt a d'abord exposé ses vues sur le « grand espace » (Groβraum) dans un petit livre paru en 1939, contenant le texte d'une conférence prononcée la même année à Kiel. Dans le « grand espace », il n'hésite pas à voir une nouvelle catégorie de la science du droit international, et il souligne explicitement que cette catégorie, qu'il présente comme une « notion contemporaine concrète tant du point de vue historique que politique » (konkreten geschichtlich-politischen Gegenwartsbegriff), est appelée à se substituer à l'ancien ordre étatique national, entré en crise dès les années trente et aujourd'hui devenu obsolète4 Les « grans espaces », ajoute Schmitt – et c'est là le point le plus important -, doivent assurer leur autonomie et leur liberté de mouvement en se dotant, ainsi que l'ont fait les États-Unis avec la doctrine Monroe, d'une « doctrine » interdisant toute intervention de puissances étrangères dans l'espace qui leur est propre5
En même temps qu'il substitue le « grand espace » à l'État, Schmitt opère une transition corrélative de la notion de territoire, corollaire du concept classique d'État-nation, à celle d'espace aux limites flexibles, non déterminées par avance. Pourvu de dimensions aussi bien aériennes que terrestres ou maritimes, l' « espace » n'est pas un simple territoire élargi. Alors que le territoire est une notion statique, il correspond à une réalité dynamique. Comme l'écrit Jean-François Kervégan, « le passage de la problématique de l'État et du territoire clos à celle de la puissance impériale et du grand espace traduit selon Schmitt la péremption de l'ordre juridique et politique de l'Europe moderne, péremption dont le développement de l'État total […] était le signe avant-coureur sur le plan extérieur »6. Mais Schmitt fait aussi, de manière significative, une place nouvelle à la notion d'Empire (Reich) qui, dans l'histoire, a longtemps représenté la grande alternative au modèle de l'État-nation. Il estime que chaque « grand espace » devrait être centré autour d'un empire, qui régulerait les relations des pays membres et permettrait au « grand espace » de développer une idée politique qui lui soit propre. Mais il souligne aussi que le Groβraum ne doit pas se confondre avec le Reich, dont la mission est seulement d'organiser le « grand espace » et de le protéger de toute intervention extérieure. En définitive, il admet que les « empires », et non plus les nations, pourraient bien devenir les principaux acteurs des relations internationales, tout en mettant en garde contre une simple extension mécanique de l'idée de souveraineté nationale à la dimension du Groβraum7.
La question de savoir si l'actuelle Union européenne constitue un « grand espace » au sens que lui donnait Carl Schmitt, ou si l'on établir un rapport entre les vues de Schmitt et l'une ou l'autre forme de la doctrine fédéraliste, a fait ces dernières années l'objet d'un certain nombre de discussions. Celles-ci contiennent toujours une part de spéculation dans la mesure où Schmitt, bien qu'il soit mort en 1985, près de trente ans après la signature du traité de Rome, n'a jamais rien publié sur la nature des Communautés européennes. Certains auteurs désireux de faire de l'Europe une puissance autonome, notamment en matière de politique étrangère et de défense, ne s'en sont pas moins explicitement référés au modèle schmittien du « grand espace » et à son idée d'un nouveau Nomos de la Terre, voire également à l'idée d'Empire par opposition à celle d'État-nation. À l'inverse, certains adversaires de la construction européenne ont cherché à justifier leur opposition à ce projet en référence aux vues développées par Schmitt, qu'ils se sont employés à présenter sous le jour le plus négatif8.
Carl Schmitt n'aborde la question de la fédération (Bund) qu'aux chap. 29 et 30 de sa Verfassungslehre de 19289. La définition qu'il en donne montre que celle-ci ne se confond chez lui ni avec l'État fédéral (Bundesstaat) classique ni avec l'État confédéral ou la confédération d'États (Staatenbund). La fédération, écrit-il, est « une union durable, reposant sur une libre convention, servant au but commun de la conservation politique de tous les membres de la fédération ; elle modifie le statut politique global de chaque membre de la fédération en fonction de ce but commun »10. L'entrée dans une fédération entraîne donc pour les États une modification de leur Constitution. Le pacte fédératif (Bundesvertrag) est un « pacte statutaire inter-étatique »11, dont la conclusion représente un acte de pouvoir constituant. Tout fédération possède en tant que telle une existence politique assortie d'un jus belli qui lui est propre. Elle est à la fois un sujet de droit international et un sujet de droit interne. Schmitt souligne aussi les paradoxes ou les antinomies de la fédération. L'une des plus évidentes est que les États membres souscrivent normalement au pacte fédératif pour préserver leur autonomie politique, alors qu'en entrant dans la fédération ils doivent en abandonner une part12. Mais la plus importante est celle-ci : « Une fédération juxtapose deux genres d'existence politique : l'existence globale de la fédération et l'existence particulière de l'État membre […] Des deux côtés, des gradations sont possibles, mais le cas extrême conduit toujours, soit à la dissolution de la fédération qui ne laisse plus sur scène que les États isolés, soit à la disparition des États membres qui ne laisse plus subsister qu'un État unique »13. Ces antinomies ne sont solubles, ajoute Carl Schmitt, qu'à la condition d'un homogénéité substantielle de tous les membres de la fédération, seule cette homogénéité pouvant fonder entre eux un accord concret (Übereinstimmung).
Avec la notion de « grand espace », à laquelle Schmitt oppose explicitement celle d' « universalisme », apparaît en tout cas une alternative des plus actuelles : unité ou pluralité du monde, univers ou « plurivers », globalisation homogène ou globalisation ordonnée à la diversité des cultures et des peuples ? Schmitt montre que l'ordre ancien, qui fut celui de la modernité, ne peut plus être eurocentrique, mais implique, à l'ère postmoderne, un réarrangement général des rapports internationaux autour d'une alternative simple : unipolarité ou multipolarité. L'unipolarité, que l'on pourrait dire « monothéiste », consacre l'hégémonie de la puissance dominante ; la multipolarité, conforme au « polythéisme des valeurs » (Max Weber), se fonde sur la reconnaissance mutuelle d'ensembles politico-culturels de valeur égale. L' « évolution planétaire », écrit Schmitt, a « depuis bien longtemps conduit à un clair dilemme entre univers et plurivers, entre monopole et polypole, c'est-à-dire à la question de savoir si la planète [est] mûre pour le monopole global d'une seule puissance, ou si c'est un pluralisme de grands espaces, de sphères d'intervention et de zones culturelles ordonnés en eux-mêmes et coexistants qui [va] déterminer la nouveau droit des gens de la Terre »14.
Schmitt ne cache pas sa préférence, qui correspond à la coexistence de « plusieurs grands espaces ou blocs autonomes qui établiraient entre eux un équilibre et, par là, un ordre de la Terre ». Dès les années cinquante, il prévoit que la division binaire du monde hérité de Yalta, entre le « monde libre » et le bloc soviétique, n'annonce pas tant l'unification du monde qu'une « transition vers une nouvelle pluralité ». L'Europe reste pour lui l'espace territorial « dans lequel l'arrangement géopolitique le plus favorable à la paix mondiale s'est développé »15.
L'alternative entre monde unipolaire et monde multipolaire rejoint l'opposition de la Mer et de la Terre, car un monde multipolaire implique la notion territoriale de frontière. Dans le monde actuel, la logique de la Terre se confond en outre plus que jamais avec une logique continentale, celle de l'Europe toute entière (ou de l'Eurasie), tandis que la logique maritime, incarnée naguère par l'Angleterre, est aujourd'hui celle de l'Amérique. De même, pourrait-on dire, l'alternative entre la construction de l'Union européenne comme simple espace transatlantique de libre-échange et sa construction comme puissance continentale autonome relève encore de cette opposition, dans la mesure où la Mer est du côté du commerce, tandis que la Terre est du côté du politique saisi en son essence. C'est bien pourquoi les États-Unis expriment si fréquemment leur adhésion au modèle unipolaire, qui consacrerait leur hégémonie planétaire. En 1991, Charles Krauthammer écrivait déjà : « Nous vivons dans un monde unipolaire. Nous, les Américains, nous devrions l'aimer – et l'exploiter »16. « Les Américains, constate Thierry de Montbrial, rejettent catégoriquement la notion d'un monde multipolaire, dont les deux composantes sont inacceptables à leurs yeux. D'une part, qui dit monde multipolaire sous-entend un équilibre des puissances, et donc justement la nécessité d'un contrepoids aux États-Unis […] Ils n'acceptent pas, d'autre part, qu'un équilibre quelconque puisse être garanti par l'organisation des Nations-Unies, c'est-à-dire en pratique par le Conseil de sécurité et plus précisément par ses cinq membres permanents »17
Dès lors, l'objectif géopolitique majeur des États-Unis est d'éviter la formation d'un heartland continental ou eurasiatique qui puisse rivaliser avec leur propre puissance, c'est-à-dire de tout faire pour éviter l'émergence d'une puissance rivale en Europe occidentale, en Asie ou sur le territoire de l'ancien empire russe. D'où la définition des missions de L'OTAN et l'élargissement de son concept stratégique, bien que cette organisation, qui était au départ purement défensive, soit objectivement devenue sans raison d'être depuis l'effondrement du système soviétique. La place grandissante de l'océan Pacifique dans les affaires du monde, et le fait que les États-Unis se tournent de plus en plus dans cette direction, vont dans le même sens.
Dans la mesure où elle se caractérise par la prolifération des réseaux et des flux de toutes sortes (commerciaux, financiers, technologiques, communicationnels, etc.), la globalisation relève elle aussi de la logique de la Mer, qui ne connaît pas de frontières ni de territoires clos. Par une habitude de langage qui est elle-même révélatrice, on dit de la globalisation qu'elle unifie la Terre, mais en fait, en l'unifiant, elle soumet la Terre à la logique de la Mer, qui est celle de l'abolition des frontières et de la suprématie des flux et des reflux.
Après avoir mis fin à la bipolarité mondiale, la globalisation entraîne une déterritorialisation généralisée des rapports militaires, politiques, économiques et financiers. Abolissant l'espace territorial, elle abolit aussi la tempolarité en instaurant un « temps zéro », du fait de son ubiquité et de son instantanéité. Avec la mondialisation du capitalisme, tout comme avec le néo-terrorisme global, on rentre dans cet « espace lisse » que Gilles Deleuze et Félix Guattari opposaient naguère à l' « espace strié ». Tandis que l'espace « strié » est pensée sur le modèle du tissu, avec sa structure, sa trame et sa finitude, l'espace « lisse » est pensé sur le modèle du feutre, qui n'implique aucun frottement, aucun entrecroisement, mais seulement un enchevêtrement de fibres homogènes qui peuvent croître en tout sens à l'infini. L'espace « lisse » n'est pas situé, mais « nomade » ; c'est un espace sans profondeur, un espace d'immédiateté et de contact tous azimuts, qui ne contient ni formes ni sujets, mais seulement des flux sans ancrage ni polarisation. « Au niveau complémentaire et dominant d'un capitalisme mondial intégré (ou plutôt intégrant), écrivaient Deleuze et Guattari, un nouvel espace lisse est produit où le capital atteint sa vitesse ''absolue'' […] Les multinationales fabriquent une sorte d'espace lisse déterritorialisé où les points d'occupation comme les pôles d'échange deviennent très indépendants des voies classiques de striage »18
Dans son journal, Carl Schmitt a exprimé son horreur devant la perspective de ce que Paul Virilio a appelé le « globalitarisme », c'est-à-dire l'avènement d'un monde globalisé qui, par définition, serait un monde sans extérieur, et donc sans politique possible : « Qu'il est épouvantable, le monde où il n'y a plus d'étranger, mais seulement l'intérieur »19. Le même sentiment se retrouve également dans ses ouvrages. Dans La notion de politique, par exemple, Schmitt exprime plusieurs fois sa crainte que naisse une « planète définitivement pacifiée », qui « serait un monde sans discrimination de l'ami et de l'ennemi et par conséquent un monde sans politique »20. La « création d'une alliance des nations englobant l'humanité entière », l'avènement d'un État mondial ou d'une société universelle, estime-t-il, « signifierait dépolitisation totale »21. Schmitt dit même explicitement qu'il existera peut-être un jour un État totalement dépolitisé de l'humanité, se bornant à ajouter qu' « en attendant, il n'existe pas »22.
Cette crainte est assez étrange au regard même de sa définition du politique – d'autant que Carl Schmitt dit aussi qu'un monde unifié serait un monde où les guerres ne disparaîtraient pas, mais relèveraient toutes du modèle de la guerre civile. Si, en effet, le politique « ne désigne pas un domaine d'activité propre, mais seulement le degré d'intensité d'une association ou d'une dissociation d'êtres humains »23, s'il peut « tirer sa force des domaines de la vie les plus différents », si « tout domaine d'activité humaine imaginable est potentiellement politique et devient immédiatement politique lorsque les conflits fondamentaux et les questions fondamentales se transportent dans ce domaine », alors on voit mal comment le politique pourrait disparaître – et ce qui, au fond, motive le pessimisme ou du moins l'inquiétude de Carl Schmitt. Si le politique est bien ce que Schmitt en dit, à savoir une dimension caractéristique de l'existence humaine, et si tout conflit de quelque nature qu'il soit devient automatiquement politique dès lors qu'il atteint un certain degré d'intensité, il faut plutôt conclure à la permanence et à l'inévitabilité du politique : « L'homme cesserait d'être un homme s'il cessait d'être politique »24. La globalisation n'est donc pas synonyme de fin du politique, et elle l'est d'autant moins que la tendance à l'unification du monde entraîne par réaction, et de manière symétrique, de nouvelles fragmentations ou divisions en son sein. Un monde globalisé n'est pas nécessairement un monde pacifié, bien au contraire. Alors même qu'il distingue nettement l'État et le politique et qu'il a été l'un des premiers à constater la désagrégation de l'État-nation de type classique, Carl Schmitt a peut-être tout simplement eu du mal à imaginer des formes non étatiques positives d'existence politique.
1[…] « Le remplacement d'un système eurocentrique, particulier, de souverainetés de droit public par des relations de droit privé gouvernant le libre marché mondial et la mise en place d'un ordre impérial à fondement moral qui ne voit dans la guerre qu'une relation entre la police et des criminels, a rarement été analysée avec plus d'acuité », écrit Martti Koskenniemi (« International Law as Political Theology : How to Read ''Nomos der Erde'' ? », in Constellations, Oxford, XI, 2004, 4, p. 5000).
2In Le Nomos de la Terre
3[…]. Peut-être faut-il néanmoins souligner que l' « universalisme » dont parle le catholique Carl Schmitt n'est pas n'importe quel universalisme, mais ce qu'il appelle lui-même un « faux universalisme », d'essence nihiliste. […]
4Schmitt constate dès 1932 : « L'ère de l'État est à son déclin […] L'État, modèle de l'unité politique, et investi d'un monopole étonnant entre tous, celui de la décision politique, l'État, ce chef-d'œuvre de la forme européenne et du rationalisme occidental, est détrôné » (in La notion du politique). Quoique lui-même profondément étatiste, Schmitt s'est gardé de jamais confondre État et politique. L'antithèse de l'ami et de l'ennemi, qui est selon lui le fondement du politique, est historiquement et ontologiquement antérieure à l'apparition de l'État. Inversement, lorsque le politique abandonne son instance classique, l'instance étatique, c'est pour se manifester sous d'autres formes et par d'autres moyens. L'État-nation, en d'autres termes, n'est qu'une entité politique parmi d'autres possibles. État et politique se sont longtemps superposés, mais ne se sont jamais confondus.
5Dans son livre, Carl Schmitt retrace la façon dont, à partir du moment où la doctrine Monroe a été énoncée, les États-Unis ont constamment réclamé à leur bénéfice un droit d'intervention leur permettant de se poser en « arbitre de la Terre ». Selon lui, les États-Unis ont dominé le droit international à partir de 1919, et ce processus a culminé au moment du pacte Briand-Kellog de 1928.
6In article Carl Schmitt et l' « unité du monde »
7Sur la façon dont Carl Schmitt établit un lien entre l'espace et l'Empire, cf. aussi son texte de 1951, « Raum und Rom. Zur Phonetik des Wortes Raum », in Universitas, Stuttgart, VI, 9, septembre 1951, pp. 963-968 (texte repris in Staat, Groβraum, Nomos), où il se livre à un rapprochement entre la dénomination allemande de l'espace, Raum, et le nom de la ville de Rome.
8John Laughland, grand adversaire de la construction européenne, a ainsi publié un livre polémique (The Tainted Source. The Undemocratic Origins of the Europeen Idea, Warner, London 1997) dans lequel il met en rapport ce projet avec les idées de Carl Schmitt en matière de « grand espace », en confondant systématiquement ces idées avec les plans nazis d'organisation et de réaménagement de l'Europe. L'ouvrage, qui s'efforce en fait de reconduire le projet de construction européenne à l'idée que les nazis se faisaient de la future Europe, a fait l'objet d'une réplique et d'une mise au point : Alexander Proelβ, « Nationalsozialistische Baupläne für das europäische Haus ? John Laughland's ''The Tainted Source'' vor dem Hintergrund der Groβraumtheorie Carl Schmitt », in Forum historiae juris, 12 mai 2003. Proelβ montre en quoi la notion de Groβraum chez Schmitt se différencie radicalement de la conception de l'espace européen telle qu'elle a pu être exposée dans les années 1940 par des théoriciens SS comme Werner Best ou Reinhard Höln, qui opposaient systématiquement l'idée de völkische Groβraumordnung à celle de völkerrechtliche Groβraumordnung. Le même sujet a donné lieu, les 29 et 30 septembre 2000 à l'Institut européen de Florence, à un colloque dont les actes ont été publiés [...]
9Verfassungslehre, Dunker u. Humblot, München-Leipzig 1928 (dernière édition : Berlin 2003, trad. fr. : Théorie de la Constitution, PUF, Paris 1993). [...]
10In Théorie de la constitution, op. cit., p. 512.
11Ibid, p. 513.
12« Le droit fédératif prévaut toujours sur le droit de l'État membre tant que la fédération agit dans le cadre de ses compétences face aux États membres » (ibid., p. 529).
13Ibid. , p. 518
14In Le Nomos de la Terre, p. 241
15John P. McCormick, « Carl Schmitt's Europe. Cultural, Imperial and Spatial Proposals for European Integration, 1923-1955 »
16The Washington Post, Washington, 22 mars 1991.
17La guerre et la diversité du monde. Les États-Unis contre l'Europe puissance, L'Aube, La Tour d'Aigues 2004, p. 120.
18Capitalisme et schizophrénie. 2 : Mille plateaux, Minuit, Paris 1980, p. 614. « On pourrait se demander, commente Mireille Buydens, si le lisse n'est pas un modèle utile pour penser le post-capitalisme financier, dont les flux se concentrent, fuient ou glissent, se déplacent et s'agglutinent sur des valeurs, au gré de ''lois'' qui ont plus d'affinités avec les nécessités mystérieuses d'une météorologie de tempête qu'avec une science prédictive » (« Espace lisse/Espace strié », in Robert Sasso et Arnaud Villani, éd., Le vocabulaire de Gilles Deleuze, n° spécial des Cahiers de Noesis, 3, printemps 2003, p. 135).
19Glossarium. Aufzeichnungen der Jahre 1947-1951, Duncker u. Humblot, Berlin 1991, à la date du 5 novembre 1947.
20In La notion de politique, p. 73
21Ibid, p. 98
22Ibid, p. 18
23Ibid, p. 77
24S. Parvez Manzoor, « The Sovereignty of the Political. Carl Schmitt and the Nemesis of Liberalism », in The Muslim World Book Review, Leicester, automne 1999