Turquie, identité européenne, corruption. Quand les revendications politiques s’invitent à l’Euro 2016
De l’avis d’une large majorité d’observateurs, ces phases de poule de l »Euro 2016 n’auront pas été très palpitantes. Question jeu, hormis de belles prestations de la Croatie, de l’Espagne, ou encore à un niveau moindre du Pays de Galles ou de l’Allemagne, la qualité n’est pas au rendez vous, pour l’instant.
Mais du côté des supporteurs, venus en nombre des quatre coins de l’Europe, c’est tout autre chose. Les incidents entre les fans – prévus et redoutés par les autorités françaises comme par l’UEFA – ont eu lieu, et cela sans que les autorités n’en tirent aucune conséquence quant à leur gestion calamiteuse des évènements. De Marseille à Lille en passant par Nice, Lyon ou Paris, les échauffourées se sont multipliées durant ce début de compétition, permettant sérieusement de douter de la capacité des autorités à assurer l’ordre et la sécurité dans leurs villes. Les forces de l’ordre ont certes pour le moment procédé à 557 et à 344 gardes à vue depuis le début de l’Euro de football, mais n’ont pas su anticiper les débordements comme savent parfaitement le faire les polices anglaises ou belges, entre autres.
Au delà de ces violences, supporteurs mais aussi militants politiques ont profité de la tribune qu’offre cette compétition footballistique pour faire passer des messages à caractère politique, au grand dam de l’UEFA et des autorités qui voudraient sans doute que cette compétition ne soit finalement qu’un simple spectacle, réservé à quelques supporteurs privilégiés (le prix des billets étant inaccessible pour une famille modeste), admis dans des stades aseptisés (sans fumigènes, sans chants belliqueux, sans supporteurs populaires).
Au début de la compétition, trois ligues de vertu, dont SOS racisme, lançaient les hostilités en réclamant l’interdiction du chant officiel des bouillonnants supporteurs croates. Motif ? L’association – qui ne doit pas tellement connaitre l’histoire de la Croatie et ses mythes fondateurs – jugeait ce chant « nationaliste, agressif et violent ». Des associations renvoyées dans leurs cordes immédiatement par le conseil représentatif des institutions croates de France : «Si la chanson évoque aussi l’Herzeg-Bosna, nom traditionnel et poétique de la Bosnie-Herzégovine voisine, c’est simplement qu’aux côtés des Bosniaques et des Serbes, les Croates forment l’un des trois peuples constitutifs de ce pays voisin et ami de la Croatie. Confondre ce terme, comme le fait SOS racisme, avec l’éphémère république croate d’Herzeg-Bosna (dissoute peu après la signature des accords de Dayton fin 1995, Ndlr) traduit au mieux une méconnaissance de la littérature et de l’histoire croates et au pire une manipulation sciemment orchestrée à des fins calomnieuses».
Pour le premier match de la Turquie, contre la Croatie au Parc des Princes, des supporteurs français arboraient t-shirts et drapeaux «Turkey not welcome» tandis que des supporteurs turcs déployaient une banderole se moquant d’un supporteur serbe assassiné par des supporteurs turcs, quelques années plus tôt.
Par la suite, alors que le match Angleterre – Galles était redouté, là encore pour une rivalité très politique entre Gallois et Anglais , ces deux nations se sont finalement retrouvées essentiellement « côté à côte » face aux supporteurs Russes à Lille.
Le 15 juin, lors de France-Albanie, à Lyon, une banderole « Kosovo is Albania » a été déployée par des supporteurs de Pristina, réponse évocatrice aux supporteurs européens, et notamment Serbes, qui défendent le Kosovo serbe.
Le 17 juin, à Saint-Etienne, lors de la rencontre Croatie-République Tchèque, des supporteurs croates avaient prévu, massivement, de perturber le match. Le plan a été en partie déjoué par les autorités, même si toutefois des fumigènes jetés d’une partie du Kop Nord ont provoqué une interruption assez brève de la rencontre. Motif de ces perturbations ? Un conflit ouvert entre les supporteurs croates de Split notamment – que les médias se plaisent à présenter systématiquement comme « ultranationalistes » – et la fédération croate de football accusée de corruption généralisée, et de persécutions vis à vis de supporteurs historiques sans qui l’État croate n’existerait pourtant pas aujourd’hui.
Le 18 juin, à Lyon, une manifestation spontanée, à l’initiative du GUD (Groupe Union Défense) a rassemblé plusieurs dizaines de personnes défilant de la place Carnot jusqu’à la fan zone place Bellecour. Ils ont dénoncé l’UEFA, qualifiée de « mafia » et sa gestion de l’Euro 2016 tout en déclarant « L’UEFA tue la passion, comme l’UE tue nos nations ». Steven Bissuel, responsable du mouvement qui dénonçait le tout sécurité et l’ère du tout répressif dans le football, précisait : « le spectateur, transformé en véritable consommateur auquel il faudra extorquer le plus d’argent lors de la compétition devra rester docile sous peine d’être réprimandé. Tout cela est orchestré sous l’égide bienveillante des technocrates anonymes de l’UEFA, sortis de la même fabrique qui alimente Bruxelles et Strasbourg ».
A Paris, le 20 juin, des militants de Génération identitaire se sont ainsi rassemblés devant l’ambassade de Turquie – qualifié pour l’Euro 2016 « pour rappeler que ce pays ne sera jamais européen ». « Notre action avait pour but d’interpeller les autorités – turques en premier lieu – sur l’incohérence qu’il y a à faire jouer dans le Championnat des Nations européennes un pays qui est tout sauf européen. Et nous en avons profité pour rappeler que ce pays est tout sauf européen . Nous n’oublions pas les huées du peuple turc lors de la minute de silence en hommage des victimes du Bataclan, à l’occasion du match Turquie / Grèce » nous indique Pierre Larti, responsable de l’opération.
Le 21 juin, à Marseille – ville moquée par de nombreux fans européens en raison de son fort taux de population immigrée – ce sont des milliers de supporteurs polonais qui ont défilé en ville derrière une banderole « Defenders of European Culture », par la suite déployée dans le stade.
Défense de l’identité Européenne, hostilité à la Turquie, critique des institutions et de l’UEFA – curieusement exemptée, comme d’autres organisateurs de l’Euro, de toute taxe sur le territoire français – les actions d’une partie des supporteurs européens durant cet Euro 2016 démontrent une fois de plus le fossé qui existe, de plus en plus large, les séparant des institutions.
Source : Breizh Info