Tomislav Nikolić : « Nous avons trop longtemps subi l’embargo pour ratifier les sanctions contre la fédération de Russie »

20.09.2016
Le président serbe, Tomislav Nikolic a accordé une entrevue exclusive à Tsargrad. Le vice-président des États-Unis Joseph Biden a achevé mercredi sa visite en Serbie. Il était à craindre que lors de sa conversation à huis clos avec le président serbe, Tomislav Nikolić, une pression allait être exercée sur l’exécutif serbe au sujet du Kosovo. Cependant, à l'issue de la rencontre, le président Nikolić a déclaré qu’il ne signerait pas d’accord avec Pristina, même pour garantir l’intégration de la Serbie dans l'Union européenne. Il a aussi affirmé que son pays ne ratifiera jamais de sanctions contre la Russie, et cela même si la politique de l'Union européenne l’exigeait. Katehon livre en exclusivité à ses lecteurs l’interview du président de la Serbie Tomislav Nikolić par le rédacteur en chef de la chaîne Tsargrad, Alexandre Douguine.

Alexandre Douguine : Monsieur le président je tenais tout d’abord à vous remercier d’avoir bien voulu accorder une interview à notre chaîne de télévision Tsargrad. Pourriez-vous nous donner votre opinion sur les relations russо-serbes actuelles ?

Tomislav Nikolić : Les relations serbo-russes sont restées bonnes tout au long de notre Histoire, mais je pense qu'elles ne l’ont jamais été autant qu’aujourd’hui. Pendant des siècles, la Serbie a pu compter sur le soutien de l'Empire Russe, puis de la Russie Soviétique, et aujourd'hui de la Fédération de Russie. Chaque fois que la Russie a été solide, forte, que des personnalités courageuses et sages la dirigeaient et étaient capables de garantir ses intérêts, elle protégeait aussi ceux de la Serbie. Quand la Russie traversait des périodes difficiles, nous les ressentions. Dans ces moments douloureux, se renforçaient l'influence de personnes et de puissances avec qui une entente était difficile à atteindre. Des puissances avec qui nous n’avions en commun ni l’origine, ni les racines, ni la langue, ni la foi, ni les coutumes. Les relations serbo-russes furent avant tout basées sur le retour d’une Histoire commune.

Certes, nous coopérons avec d'autres pays, mais personne ne peut intervenir dans nos relations bilatérales. C'est l’immense et unique mérite du président de la Fédération de Russie qui a compris la véritable importance de la petite Serbie. Du point de vue des pays qui ont cent millions ou même un milliard d’habitants, la Serbie peut sembler petite. Mais du point de vue de l'amitié, qu'il est impossible de mesurer, la Serbie est grande pour tous ses amis, pour ceux qui méritent son amitié.

Aujourd'hui nous avons établi de bonnes relations politiques, une véritable coopération mutuelle. Nous avons même atteint l'unité dans des sphères extrêmement importantes. Nous avons reçu le soutien russe dans des domaines importants pour l’avenir de la Serbie. Cela concerne la résolution de Srebrenica, qui a accusé la République Serbe de génocide et le vote à la Conférence générale sur l'entrée du Kosovo dans l'UNESCO. Il était prévu que le soi-disant "État du Kosovo" pouvait prendre les couvents serbes et même l’ensemble du patrimoine culturel serbe au Kosovo et en Métochie. Et nous avons obtenu un accord sur la participation commune à toutes les affaires concernant le destin de notre pays. C'est précieux pour la Serbie.

La Russie a ouvert son immense marché à la Serbie. Elle a supprimé les droits de douanes pratiquement sur tous les domaines, à l'exception d'un petit groupe de produits. C'est une grande ressource en matières premières et en ressources énergétiques pour la Serbie. Malheureusement, nous ne pouvons toujours pas développer le projet «Flux du Sud», mais... Il ne faut jamais dire jamais. J'espère que l'Union européenne aura la sagesse, particulièrement la Bulgarie, de nous laisser construire ce «Flux du Sud» et approvisionner ainsi en gaz russe la grande partie de l'Europe.

Aujourd’hui nous nous retrouvons entre notre grande amie la Russie et l'Union européenne qui nous entoure et à laquelle nous souhaitons devenir membre, si bien sûr elle nous accepte sans nous humilier. Actuellement la Russie et l'Union européenne se querellent, et dans ce contexte il est très difficile de prendre parti. Mais vous constaterez que la Serbie n'a pas pris parti aux sanctions contre la Russie. C'est un signe qui montre le camp dans lequel nous nous positionnons dans ce conflit.

Nous avons trop longtemps subi l’embargo pour ratifier les sanctions contre la fédération de Russie. Notre Histoire nous a enseigné que les sanctions ne visent jamais les politiques, le régime. Et c’est pourtant ce qui est recherché : renverser le régime dans le pays contre lequel on impose les sanctions, mais en réalité c’est la population qui souffre, et notamment les plus faibles, les plus pauvres, les enfants.

Nous qui sommes des acteurs politiques en Serbie, associés à la fois à la Russie et à l’Ouest, nous avons tous été visés par des sanctions. Nous ne pouvions pas voyager à l'Ouest car nous ne recevions pas de visas. Ma vie n’a pas été gâchée pour autant. Au contraire, j’ai été fier d’avoir été visé par ces sanctions. Mais j’ai vu comment les gens autour de moi en souffraient. Ils ont éprouvé des difficultés économiques. Ils ont reçu moins d’aides de l'État qui étaient pourtant nécessaire à leur quotidien. Car les premiers effets des sanctions concernaient en premier lieu l'aide sociale, notamment les allocations pour les enfants. Ce sont les gens innocents qui souffrent d’abord des embargos. S'il y a à l'Ouest quelqu'un de sage, alors il doit comprendre que les sanctions n'apportent rien de bon à la Fédération de Russie tout comme cela n’apporte rien à l'Union Européenne. Parce que sans échange de marchandises et de capitaux, tout le monde souffre. Dans l'Union européenne ce sont avant tout les petits pays qui sont pénalisés par ces sanctions.

C'est pourquoi nous n’accepterons jamais les sanctions contre la Fédération de Russie, et je ne pense pas que cette politique étrangère soit partagée par l’ensemble des membres de l’UE. Parce qu'il n'y a pas de politique étrangère commune de l'Union européenne.  L’exemple le plus flagrant est le cas du Kosovo et Métochie. Si la politique étrangère européenne était commune, et que donc tous les pays membres doivent reconnaitre l'indépendance de Kosovo-Métochie, alors pourquoi cinq d’entre eux continuent de ne pas de le faire et pourquoi n’ont-ils pas à subir par conséquent de sanctions ?

Ils ne peuvent pas obliger les pays à agir contre leurs propres intérêts. Ils agissent de cette façon, non pas spécialement à cause d’une amitié avec nous, mais parce qu’ils craignent un nouveau Kosovo chez eux.
C'est pourquoi ils peuvent rester membres de l'UE sans devoir reconnaître l'indépendance de Kosovo, tout comme la Serbie peut entrer dans l'Union sans devoir le faire aussi. C’est la seule condition envisageable car la Serbie ne peut ni ne veut reconnaitre l’indépendance du Kosovo Métochie. Ni son Histoire, ni son destin ne peuvent le lui permettre. Ce serait trahir les millions de Serbes qui ont donné leur vie. Et pour quoi ? Pour quelques carottes, pour quelques améliorations du quotidien, quelques réformes constitutionnelles et économiques ?

La Serbie serait humiliée, seulement parce d’autres, plus forts, plus grands et plus puissants font pression pour cette reconnaissance.

A. D. : La chaîne de télévision Tsargrad et le Fonds de Basile de Césarée ont amené le Feu sacré en Serbie pour la deuxième fois. Vous aviez participé à la Vigile pascale. Que pourriez-vous souhaiter à nos spectateurs, à notre chaîne ? Attendez-vous le troisième voyage du Feu sacré en Serbie ?

T. N. : Tout d'abord je répondrai à votre dernière question. Ayant permis une fois la coutume, et particulièrement celle de l'Église, on ne peut plus la refuser. Donc, si c’est déjà la deuxième fois, alors il y en aura encore 202 fois. Tant que ma santé le permettra, quelles que soient mes fonctions, j'attendrai et je rencontrerai toujours le Feu sacré. Parce que je connais ce que je rencontre. Ce n'est pas pour les caméras de télévision. C’est un miracle pour lequel, nous les orthodoxes, vivons de manière particulière. Un miracle auquel je crois, parce que sans religion une personne est incomplète.

Quant à votre activité ici, le succès que vous obtiendrez, tout dépend de vous. Ici toutes les voies vous sont ouvertes. Notre peuple respecte beaucoup la Russie. Beaucoup de serbes aiment la Russie et le considèrent comme un pays ami qui ne nous fera que du bien et jamais ne nous trahira. Dans nos Kafanas on évoque beaucoup les romances russes. Actuellement les auteurs classiques russes sont les plus lus. Les classiques russes sont peut-être même les seuls auteurs étrangers lus dans plusieurs familles serbes. Chaque citoyen de Serbie connaît au moins quelques éléments qui nous unissent.

C'est pourquoi, en Serbie, la voie vous est ouverte. Notre culture commune fait que nous sommes frères, le terreau est donc fertile, et votre action sera appréciée par les serbes. Ayez une action mesurée, respectueuse, et surtout apprenez à connaitre nos gens. En effet, les serbes sont pour la coopération avec la Russie mais ils ne sont pas contre l’idée de vivre en harmonie avec les autres peuples. Donc, notre attitude  dépend de la votre vis-à-vis de nous.

Dans l’avalanche de médias occidentaux qui touche cette partie de l'Europe, l'apparition de médias de l'Est est la bienvenue. Il faut toujours prendre en compte les différents points de vue.

C'est pourquoi je vous souhaite le meilleur succès, et chaque fois quand vous aurez besoin d'avis et de positionnements vis à vis de l'actualité qui nous concernent ou encore des événements qui traitent de notre Histoire commune, adressez-vous à nous tout simplement !