Pouvoir fort, armée forte et idée nationale : les trois piliers d’un pays souverain

18.12.2017

Dans un article complexe et exhaustif, Alexandre Douguine, philosophe politique promoteur de l’eurasisme et d’un pouvoir fort inspiré des traditions orthodoxes du monde slave, passe au crible de l’analyse les concepts d’Hégémonie, de Césarisme, et d’anti-Hégémonisme, tous trois constitutifs d’un système gouvernemental à multiples facettes décrit par le philosophe politique italien Antonio Gramsci.

Pour faire simple, l’Hégémonie tentaculaire, enfant béni de la puissance thalassocratique anglo-saxone, c’est l’impérialisme anglo-saxon (aujourd’hui américain) ou la pieuvre globaliste. Il s’agit d’un système sans visage particulier, fade, agressif, totalitaire, ennemi de la souveraineté, des religions révélées et des traditions, ennemi des frontières et des valeurs concrètes qu’il remplace par des slogans creux et conséquemment stériles. Son dieu, c’est le capital (le marché). Sa stratégie, le chaos contrôlé (de préférence). L’Hégémonie n’a pas d’ancrage national spécifique. Au fond, il s’agit d’une secte politique disséminée à travers le monde dont les adeptes semblent confesser diverses idéologies que l’on essaye en vain, souvent dans un esprit conspirologique et/ou parano, de ramener à une seule. Les élites hégémoniques ne sont que très passablement préoccupées par l’intérêt des nations dont elles sont issues. Douguine mentionne, à titre d’exemple, la personne de Georges Sorros ainsi que l’ultra-hégémonique Clinton qu’il oppose à Donald Trump. Quelle que soit la gravité des enjeux, c’est l’entité Hégémonique qui oriente la géopolitique des nations occidentales. Jamais l’inverse. En pratique, cela explique l’inqualifiable destruction du Moyen-Orient, la création d’une zone d’instabilité en plein centre de l’Europe (Ukraine, Donbass), plus récemment, la folie téléguidée de Trump vis-à-vis de la Corée du Nord et l’étrange reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale isréalienne (création d’un nouveau foyer de tension quoi que l’on pense de l’éventuelle légitimité de ladite décision). D’une manière générale, le marché se nourrit de sang. Pour en avoir, il faut des guerres permanentes et de nouvelles zones de turbulence.

Le Césarisme, tantôt mou, voire permissif, tantôt autoritaire, toujours opportuniste, c’est le semi-libéralisme du cabinet ministériel de Poutine et de ... selon Douguine, et c’est là que je ne le suis plus, de Poutine lui-même. Pour Douguine, toute l’élite politique russe au pouvoir est composée de semi-libéraux, assez complaisants avec les libéraux de la cinquième colonne tels que l’histrion Navalny et toute la clique des années 90 sous l’égide lamentable d’un Eltsine, mais aussi assez acharnée contre cette cinquième colonne quand il faut créer l’illusion d’un noble combat contre le mal absolu. En fait, le philosophe voit en eux une « sixième colonne » qui connaît bien son rôle et qui laisse jouer le sien à cette cinquième colonne qu’elle contient quand il le faut. Il y aurait donc interaction des deux colonnes depuis l’Occident, spécialement depuis les USA qui coordonnent le bal des élus. Medvedev serait l’exemple type de cette sixième colonne plutôt globaliste mais assez souverainiste car avant tout repliée sur les intérêts des clans. L’Hégémonie est supranationale, alors que le Césarisme est clanique. Il n’est pas impérialiste mais il reste attaché, quoiqu’il puisse en coûter à ses électeurs, au capital, d’où le degré de corruption qui règne dans les rangs – argument volontiers récupéré par les valets de la 5ème colonne en cas de pression. Personnellement, je ne partage pas cette généralisation. Que Poutine est ce qu’on appelle en Russie un « derjavnik », littéralement, un souverainiste, voilà qui est incontestable. Qu’il y ait des tiraillements entre les clans avec des libéraux modérés non anti-nationistes mais tout de même girouettes, à l’occasion, comme Medvedev, et des proches de Poutine, eux-mêmes partisans d’un Etat fort tenant à des valeurs stables, cela va sans dire. C’est d’ailleurs ce qui explique le caractère à la fois rigoureux et cohérent (westphalien) de la politique étrangère russe, mais aussi les immenses tares de la politique intérieure qui reste en grande partie soumises aux désidératas d’un certain nombre de clans oligarchiques détenant une grosse partie des richesses du pays. Le danger – et c’est ici que l’on ne puit que donner raison à Douguine – c’est l’éventuel basculement du Césarisme vers une sorte d’Hégémonisme passif, résigné. Sait-on si un Medvedev n’aurait pas été plus « souple » avec l’Occident vis-à-vis de la Crimée ou de l’intervention russe en Syrie, longtemps contestée comme étant soi-disant illégitime au regard du droit international ? Pourvu de se maintenir au pouvoir, pourvu que le peuple soit heureux de voir lever une partie des sanctions.

Restent les anti-Hégémoniques qui rejettent toutes les thèses et tous les objectifs du capitalisme de type libéral, que celui-ci fasse valoir les bienfaits du marché global, les droits-de-l’homme ou une démocratie universaliste. Elle se pose en défenseur de la souveraineté nationale, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes selon le système de valeur qui leur est propre. Il y a une certaine sacralité dans cet anti-Hégémonisme dont il conviendrait d’analyser les fondements dans une optique avant tout philosophique et religieuse. Cette catégorie a cela en commun avec son antipode que son combat est idéel. Sauf que le sien est compatible avec le message véhiculé par les religions révélées, alors que celui des Hégémoniques, prêts à sacrifier le monde sur l’autel du globalisme, voue la planète à une disparition programmée ce qui permet d’en associer les principes à la vision bien sûr allégorique de l’Antéchrist. .

Bien que Douguine ait tendance à mettre tout l’entourage de Poutine et Poutine lui-même dans le même panier – c’est son droit, mais je crois que la généralisation est très hâtive – il est certain que la 5ème et la dite 6ème colonnes se passent la rhubarbe et le séné d’où les « 12 ans de sursis » de Navalny, quelque chose d’inouï dans la pratique judiciaire, d’où la phrase indécente de Medvedev, en Crimée, en mai 2016, sur la non-indexation des retraites et les prix exorbitants des produits de consommation, genre « nous sommes fauchés, veuillez vous en accomoder ! », d’où les salaires scandaleux des députés, et j’en passe. Il y a cet extraordinaire tiraillement qui explique l’analyse que fait Zakhar Prilepine de la personnalité de Poutine : incernable parce que contradictoire. Non, il n’est pas incernable. Et ce n’est pas un semi-libéral comme le déclare Douguine. C’est juste qu’il n’a pas les mains assez déliées pour faire le ménage dans ce nid de vautours droit sortis des années 90. Jamais aucun pouvoir d’Europe n’aura été aussi divisé à l’intérieur de ses structures. Mais Poutine n’est pas seul. Il a pour alliés l’armée, et le FSB, ce qui n’empêche que son prochain mandat – assurément le dernier – sera décisif. Pourra-t-il, se décidera-t-il s’il le peut, à chasser les marchands du Temple ? A bouter les semi-libéraux ou Césaristes pour faire un peu de place à de nouvelles élites réellement anti-Hégémonistes ?

Cet aperçu permet de tirer trois conclusions fondamentales: un Etat fort, de nos jours, c’est un Etat dirigé par un leader national fort, c’est-à-dire impitoyable avec la clique dite libérale, une armée forte, et une Idée nationale qui se construit non pas dans l’opposition à ... (que ce soit un Navalny pour la Russie Unie, ou la REM pour le FN) mais dans l’affirmation, mettons, d’un socialisme orthodoxe pour la Russie, gaullisme et catholicisme pour la France. Le Système de vigueur – globaliste, antithéiste, antinationiste, truffé de simulacres ridicules – ne peut perdurer sans quoi l’Histoire perdrait de son sens et ce serait alors sa fin. Avec le fin des nations, de la spiritualité, de l’humain, le tout couronné de la fin de vrais élites.