Pas de grande Russie sans grand ébranlement
Souvent ce sont deux aspects concomitants. La grandeur réside en ce que la Russie a accompli un pas décisif et irréversible, un retour dans l’histoire en qualité de puissance souveraine et autonome, en tant qu’empire. Nous avons montré que la période de dégradation est finie, la préservation de notre potentiel territorial et intérieur a été affirmée ; nous sommes revenus, pour être une grande puissance mondiale. Le genre de chose qui coûte cher. Il va falloir payer beaucoup. Mais voilà, c’est un pas. Un autre, c’est la Crimée, notre réponse au Maïdan, qu’on nous a infligé. Nous n’avons pas voulu cela. Nous voulions être avec l’Ukraine, dans ses frontières d’alors, et entretenir des relations amicales. On nous a imposé la situation, lancé un défi. Nous y avons répondu par la Crimée, à la manière des grandes puissances. Pas à la manière d’une puissance régionale, mais comme une grande puissance. « Ah, tu es ainsi ? Et bien, nous aussi ! »
En même temps, il ne s’agit pas simplement de mots. « La Crimée est à nous, c’est vrai. Mais voyez les conséquences… » On doit toujours payer pour les grandes choses. Pour jouir de leur grandeur, les grandes puissances sont obligées d’investir des quantités phénoménales de ressources. C’est cela, être dans l’histoire. C’est pourquoi on peut comprendre le petit-bourgeois, complètement indifférent à la grandeur. Mais c’est précisément de cette grandeur que vit le peuple. Nombreux sont les peuples qui aujourd’hui s’estiment peut-être mieux nantis que nous, matériellement, (il n’est pas nécessaire d’insister là-dessus, mais nous ne nous trouvons tout de même pas dans un état de dénuement complet), mais qui paieraient cher pour entrer dans l’histoire. Toutefois, ils ne disposent pour cela ni de la taille, ni de la possibilité, ni encore du potentiel historique. Nous avons tout cela.
Et c’est une grande chose. Nous pouvons vivre de cette grandeur, nous pouvons la respirer, elle peut nous rendre heureux, car il s’agit de quelque chose de non-matériel (bien qu’elle ait aussi un aspect matériel). Car quoiqu’il en soit, ce sens de la grandeur se situe hors de la « matérialité », et non en ce que nous disposons d’un territoire plus grand, de plus de biens matériels, de plus d’argent, etc. Il s’agit plutôt d’un certain contexte spirituel. Les grandes puissances participent à l’histoire en tant que sujets, les autres, en tant qu’objets. Là réside toute la différence. Que voulons-nous être ? De braves obéissants ? Des esclaves prospères et douillets ? Ou maîtres risqués de l’histoire, maîtres de notre propre destin ?
Cette année, vous attendez de grands chocs ou une grande Russie ?
La formule ne me paraît pas très adaptée. Il n’y aura pas de grande Russie sans grands chocs. Une prospérité de petit-bourgeois ne conduit jamais à la grandeur. La grandeur, c’est une tout autre catégorie. Je m’attends à une grande Russie, à travers de grands ébranlements.