PANAFRICANISME : DE L'ORIGINE À LA RÉSISTANCE AFRICAINE AU XXIe SIÈCLE (Partie 1)
Beaucoup de gens connaissent le personnage que fut Thomas Sankara ou Mouammar Kadhafi, mais peu connaissent la pensée profonde de ces personnages. Peu de gens connaissent le concept de panafricanisme (en tout cas au sein des peuples non-Africains). Pourtant, c'est une pensée qui a toujours été au centre du débat africain à chaque époque, à chaque génération. Nous essaierons de comprendre ensemble les origines de cet idéal, ses objectifs et les problèmes auxquels il a dû faire face à chaque époque et continue de faire face. Dans cette première partie de l'article, nous nous concentrerons sur l'histoire du courant panafricaniste, en abordant ses origines, la résistance afrodescendante aux Amériques, le garveyisme, les indépendances africaines, pour en fin aborder la partie politique (dont nous nous concentrerons dans la deuxième partie) avec les mouvements de résistance en ce début du 21ème siècle, comme l'ONG Urgences Panafricanistes (https://www.facebook.com/UrgencesPanafricanistes) de Kemi Seba que je représente dans la diaspora, précisément en Italie.
L'idéal fédéral comme seule issue
Pour faire face à la menace mondialiste, le micronationalisme africain n’est plus nécessaire. Aucun État-nation en Afrique est assez fort pour amortir et renverser à lui seul l’avalanche impérialiste et neocolonialiste. Se regrouper selon un bloc de civilisation continentale, comme voulaient nos mères/pères fondateurs demeure la seule solution.
Un aperçu historique d'un continent à connaître
Notes introductives sur le panafricanisme
L'Afrique est un continent polycentrique et hétérogène, caractérisé par de multiples réalités, cultures et coutumes. On pourrait dire que c'est un espace à part entière qui, constitue sa singularité. Ces différences n'ont pas toujours été synonymes de division sur le continent. Bien au contraire, le désir d'unité africaine dans la diversité a toujours été un concept endogénisé au sein des cultures africaines, comme le Dr. Cheikh Anta Diop nous le demontre dans ses oeuvrages. Un désir qui a conduit à un idéal supérieur qu'on appelle : le panafricanisme.
Historiquement, l'Afrique a vu naître et prosperer des Royaumes et des Empires sur son sol. De vastes Empires qui n'étaient pas destinés à s'imposer de manière bellicieuse (contrairement à certains caricatures historiographique), mais qui visaient à s'unir sous des confédérations. Emblématique est, par exemple, la Charte Kouroukan Fouga (plus connue sur le nom de Charte Manden) du 1236, qui était un charte des droits et devoirs consistant à unir l'Empire du Mali (ou Manden Kouroufaba) suite à la victoire du Roi Mari Soundiata Keita à Kirina. Nous pouvons parler aussi des personnalités comme Shaka Zulu, qui a dédié son existence au désir d'unir une grande partie de l'Afrique du Sud , ou le roi Behanzin à la tête du Dahomey, Samory Touré et son Empire Wassoulou, ainsi que des femmes comme Kimpa Vita, qui ont consacré leur vie à la réunification du Kongo Dia Ntotila (plus connu sous le nom de Royaume Kongo).
A partit de ces éléments, nous voulons tisser la trame de la volonté d'unité africaine, sous autres formes supérieurs aujourd'hiui : l'unité continentale et non plus limitée à des royaumes.
La définition du panafricanisme et ses origines
Comme l'indique le terme lui-même, le panafricanisme entend représenter l'unité des Africains présents sur le continent africain ou dans des zones géographiques ayant subi une forte diaspora (Caraïbes, Amériques, etc.). C'est une idéologie sotériologique, c'est-à-dire de salut, puisque son but est de liberer les peuples africains à la fois des pouvoirs exogènes de domination et à la de l'asphyxie socio-politico-économique endogène. Depuis sa genèse, la pensée panafricaniste s'est située aux antipodes des frontières établies par la Conférence de Berlin de 1884-1885, qui a balkanisé l'Afrique et, par conséquent, créé des nations artificielles qui ne respectaient pas toujours le status quo de l'africain continent. Le but ultime du panafricanisme est la construction d'un grand bloc africain monolithique-fédéral, à travers la réappropriation de la souveraineté continentale sous tous ses aspects, et surtout l'émancipation des maux endogènes qui paralysent le progrès de l'Afrique.
Il devient nécessaire de se poser la première question : pourquoi penser en termes fédéraux ? Car, dans ce monde géopolitique, seules les civilisations qui ont décidé de s'unir au nom d'un destin commun et d'une matrice qui les unit, pesent et sont respectées. Par exemple, en Europe de l'Est un concept continentaliste comme l'eurasisme s'est répandu et est soutenu, prôné et défendu par l'intellectuel russe Alexandre Douguine (auteur, en 2009, de l'ouvrage ''La quatrième théorie politique''), puisque ils soutiennent que la matrice indo-européenne est la racine qui unit cet espace.
De même, en Amérique latine, on pense que seule une Amérique du Sud unie, comme l'espérait à son temps Simon Bolivar, peut conduire à un véritable salut face dollarisme et des contraintes endogènes qui bloquent le progrès et l'émancipation de ces peuples. Le panaméricanisme latin est un concept porté par des personnalités telles que Raphael Machado, dirigeant du mouvement Nova Resistencia, comme d'autres représentants continentalistes et anti-imperialistes de cet espace.
Si l'on regarde la Chine, cette dernière apparaît comme une somme de plusieurs provinces, unies au nom d'un destin commun, tandis que les États-Unis d'Amérique (meme si on peut leur apporter des critiques face à leur politique impérialiste) sont une fédération qui, dès l'instant où leurs pères fondateurs ont compris que seule l'unité aurait pu faire péser ce bloc dans le concert géopolitique, ils ont embrassé ce qu'ils croyaient être leur destin soteriologique d'unité.
On voit donc comment toutes les nations qui se sont unies au cours de l'histoire sont celles qui ont compris que l'unité fait basculer les rapports de force à leur avantage. Le panafricanisme représente la réponse de l'Afrique à ce concept global qu'est l'unité et cet idéal est defendu par des figures telles que Kemi Seba en ce début du XXIè siècle, à la tete de son ONG Urgences Panafricanistes (https://www.facebook.com/UrgencesPanafricanistes) qu'il préside.
Mais on ne saurait parler en profondeur du panafricanisme, et de ses objectifs réels, sans analyser sa genèse, son origine et ses patriarches.
Tout d'abord, pour préciser, il faut dire que le panafricanisme n'est pas né en Afrique, mais dans la diaspora afro-descendante des Amériques, et trouve sa genèse dans la période de la traite négrière. Les souffrances que les Noirs ont traversées lorsqu'ils ont été kidnappés de leur familles, ethnies, royaumes et déportées vers les Amériques ont conduit à un sentiment de maturité sociale à eux commun. Dans un contexte de brutalité et d'oppression du grand Capital, un mouvement connu sous le nom de « marronage » prend naissance.
Mais de quoi parle-t-on lorsque on invoque le concept de marronage ? Pour répondre correctement, il est nécessaire de contextualiser le comportement des déportés noirs. A l'époque de la traite négrière, il y avait trois types de noirs : le noir de la plantation totalement soumis au maître, le noir en quête d'une plus grande autonomie sans chercher à se deberasser completement de celui qui l'opprimait et - finalement - le noir qui voulait une indépendance définitive vis-à-vis du maître, recherchant l'autodétermination intégrale et la liberté ; un Noir donc qui s'enfuit et bâtit avec ses semblables, des villages autonomes, où il pourrait être le seul maître de son destin. Cette dernière catégorie s'appelait Neg-Marron, representait donc les noirs radicaux (telles qu'ils etaient presentés à l'èpoque), ceux qui étaient prêts à tout pour leur liberté, au nom d'un sentiment ''pan-négriste'' commun.
La Révolution haïtienne
Au fil des siècles, la conscience noire s'etait très ''radicalisée'', en particulier pendant la Révolution française de 1789, après quoi certains Noirs ont réalisé que la liberté ne devait pas et ne pouvait pas être un concept à géométrie variable. De cet événement et de cette prise de conscience naquit l'une des plus grandes révolutions noires de l'histoire : le 22 août 1791, plusieurs Neg-Marrons, en compagnie du prêtre vaudou Dutty Boukman, se réunirent sur l'île française de Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti) à fin de debuter la Révolution haïtienne contre le système esclavagiste colonial français.
La révolution fut menée par le général François Doménique Toussaint Louverture (1743-1803), qui, entre actions plus ou moins diplomatiques, se battit pour racheter Saint-Domingue du colonialisme français, se retrouvant souvent en collaboration avec les Britanniques ou les Espagnols dans une tonalité anticoloniale française. Ce fut une lutte qui dura des années et qui fut plus tard remportée par d'autres personnalités comme Jean-Jacques Dessalines (1758-1806), une figure encore plus radicale que Louverture. Ceux qui ont mené la révolution ont réussi à discipliner et à former les habitants de l'île, faisant front uni contre le même ennemi, au point que Napoléon Bonaparte, craignant que ses intérêts impériaux ne soient perturbés, décide de rétablir l'esclavage dans les colonies (aboli juste après la Révolution française) et d'arrêter Louverture en 1802, qui fut déporté en France et emprisonné jusqu'à sa mort. Avec l'arrestation de Louverture, l'Empire napoléonien pensait pouvoir étouffer la révolution haïtienne, mais ce fut une erreur : lors de son arrestation, en effet, Louverture a déclaré : « En m'arrêtant à Saint-Domingue, ils n'ont coupé que le tronc de l'arbre ; les racines sont nombreuses et profondes - elles ressusciteront ! »8 Une prédiction qui se réalisa grâce au général Dessalines, qui prit les rênes de la situation et continua la mission de Louverture jusqu'à la bataille de Vertières (18 novembre 1803), qu'il voit s'affronter les Neg-Marrons et les troupes napoléoniennes et sanctionne la défaite de ces dernières.
Suite à la défaite militaire de la France, le 1er janvier 1804, Saint-Domingue, obtient son indépendance de fait. Rebaptisé du nom de ''Haïti', cette derniere etait devenu la première république noire de l'histoire.
Mais face aux puissances colonialistes qui voulaient voir Haïti subjugué, Dessalines - fut assassiné en 1806. A l'époque, toutes les nations ont ostracisé l'Haïti qui avait osé se battre pour sa souveraineté et, suite à la mort du général Dessalines, une série de sujets facilement maniables se sont succédés sur l'île. Le projet pannègre, qui avait eté evoqué au sein de certain Neg-Marron de l'ile,fut abandonné, mais survivrait, au fond, parmi le peuple et certains intellectuels noirs.
Panafricanisme moderne et décolonisation en Afrique
De nombreux intellectuels haïtiens, dont Martin Robinson Delany (1812-1885) et Benito Sylvain (1868-1915), ont continué à parler d'un probable projet panafricain. Mais c'étaient des personnages élitistes, qui n'ont jamais voulgarisé leur démarche intellectuelle parmi les masses. C'est un Jamaïcain qui a osé mettre le projet unitaire panafricain au centre de la table, parmi toutes les catégories sociales noires : Marcus Mosiah Garvey (1887-1940), le leader le plus influent du monde noir de au début du XXe siècle. Né à Saint Ann's Bay (Jamaïque), Garvey a beaucoup voyagé à travers le monde ; s'installant aux États-Unis, il fonda en 1914 l'Universal Negro Improvement Association (UNIA). UNIA a été la première organisation nationaliste noire et panafricaine qui s'articulait autour de l'idée du Grand Retour en Afrique (Back To Africa), de l'autodétermination et de la décolonisation totale du continent. Grand prédicateur du retour en Afrique de tous les afro-descendants, Garvey a affirmait que chaque peuple a sa propre identité et que son but est de rester ferme dans ses racines. Dans les années vingt du XXe siècle, il est le premier à imaginer la naissance des États-Unis d'Afrique : Garvey, en effet, a compris que seul un grand bloc panafricain uni d'Afrique pouvait résister en face au colonialisme exogène et être respectée dans le concert des nations. Pour ce faire, Garvey a réussi - par l'intermédiaire de la compagnie maritime qu'il possédait, la Black Star Line - à transporter de nombreux afro-descendants au Libéria de 1919 à 1922. Il etait devenu une menace pour les intérêts du gouvernement américain aux USA et au Libéria (ainsi que dans les colonies limitrophes), qui a décidé de l'expulser vers la Jamaïque et de l'empêcher de poursuivre son travail. Cependant, ses idées ne sont pas mortes, car elles étaient l'essence du cinquième Congrès panafricain de 1945, qui a vu la participation des futurs « nouveaux dirigeants » des nations africaines, dont Kwame Nkrumah, Ahmed Sékou Touré et Jomo Kenyatta, hommes qui dans leur vie dirigeront le Ghana, la Guinée Conakry et le Kenya en tant que présidents. Ces hommes étaient des personnalités qui ont opté pour une « voie africaine du socialisme » qui, combinée au panafricanisme, représentait la seule voie - selon leur vision - pour trouver le salut en Afrique. Profondément et fermement anticolonialistes, ils placèrent l'urgence de la décolonisation africaine sur la scène internationale : suite à ce Congrès, en effet, et à une demarche de lutte, de nombreuses nations africaines parvinrent à obtenir leur indépendance dans les années qui suivirent.
Peu de temps après les indépendances, cependant, un nouvel obstacle est apparu, à savoir celui représenté par le « néo-colonialisme ». Si d'une part le colonialisme consistait, à l'esclavage à domicile, au pillage évident sur le terrain par les grands capitalistes caucasiens, le néocolonialisme, quant à lui, s'était posé comme une forme paternaliste des pays ex-colonisateurs sur les pays néo-indépendants à travers la cooptation des élites africains, les accords des coopération qui consistait à etre des accords de domination unilatérale, le controle du systèmes militaire et économique, à travers le concept plus connu comme Françafrique (pour ce qui concerne la Zone Franc). Le néocolonialisme etait devenu une forme plus latente par rapport au colonialisme : le colon ne se distinguait plus par la couleur de sa peau, car certains élites africains avaint accepté ce nouveau systeme.
Cela accentue de plus en plus le désir d'unité fédérale chez les dirigeants les plus ''radicaux'' (toujour pour utiliser une terminologie du systeme), qui raisonnaient davantage dans une perspective souverainiste, comme Nkrumah, Modibo Keita (premier président du Mali), Patrice Lumumba, Sékou Touré et Julius Nyerere (premier président de Tanzanie). Le sentiment fédéral conduira à la création, le 25 mai 1963, d'un organisme international appelé Organisation pour l'unité africaine (OUA), qui, d'un point de vue politique, était le précurseur de l'actuelle Union africaine (UA). Cet organisme, co-fondé par Nkrumah, Haile Selassie et d'autres à Addis-Abeba, s'est fixé comme objectifs des points fondamentaux qu'il n'a cependant pas toujours respectés dans la durée : lutte contre le néo-colonialisme, promotion de l'intégration africaine dans la politique comme dans le domaine économique, lutte contre la corruption et l'impérialisme. Mais avec le temps, en effet, le projet initial d'unité africaine avait commencé à être abandonné, les élites politiques pensant davantage en termes de micro-nationalismes au lieu de comprendre que les néo-nations indépendantes étaient facilement attaquables par l'impérialisme.
Les dirigeants panafricains et patriotes qui ont osé s'opposer à toute hégémonie exogène ont été éliminées par l'impérialisme. Très souvent, les impérialistes ont collaboré avec des Africains pour renverser des régimes. A cet égard, on ne peut manquer de penser à des hommes comme Thomas Isidore Sankara (1949-1987), un Burkinabé non aligné, opposant à la dette coloniale, partisan de la pleine autosuffisance africaine. On ne peut que penser à des hommes comme le Premier ministre congolais Patrice Emery Lumumba (1925-1961), le révolutionnaire camerounais Ruben Um Nyobe (1913-1958), le panafricain marocain Mehdi Ben Barka (1920-1965) et tous ceux et celles qui ont voulu et rêvé que l'Afrique pouissent décoller de sa condition.