Migrants : l'accord UE-Turquie doit fermer la route de la mer Egée
En contrepartie du renvoi sur le sol turc de ceux qui ont traversé vers la Grèce, Ankara pourrait obtenir dès juin la suppression des visas pour ses ressortissants voyageant en Europe.
La porte se referme dimanche soir à minuit. Les Vingt-Huit et la Turquie ont décidé vendredi de couper la route de l'exode en mer Égée, après onze mois d'une crise où le danger d'une déstabilisation pour l'UE tout entière a fini par l'emporter sur l'élan initial de compassion.
Le pacte, arraché au bout de 24 heures d'un sommet haletant, replace les îles grecques en première ligne de défense de la frontière européenne. C'est là que doivent être stoppés dès lundi les migrants et les réfugiés débarqués de Turquie. Avant leur renvoi annoncé comme quasi systématique vers la côte anatolienne, en accord avec Ankara.
De sérieux doutes subsistent sur la capacité de la Grèce, même épaulée par Frontex et par une mission maritime de l'Otan, d'assurer sa mission à 100 % d'ici 48 heures. Tous se retrouveront dès demain à Athènes pour une réunion de crise. Dans les îles, le rythme hebdomadaire des arrivées est retombé à environ 10.000, loin des records atteints à la fin de l'automne. Mais ce sont autant d'hommes, de femmes et d'enfants qu'il va falloir intercepter, enregistrer, auditionner, héberger et peut-être détenir, dans l'attente d'un retour vers la Turquie qui tient du cauchemar logistique.
Les expulsions devraient commencer le 4 avril, précise Angela Merkel, en évoquant l'«élan irrésistible» qui soutient le pacte. Dans l'affaire, l'Allemagne et la Grèce sont les plus pressées. Il faut à tout prix réduire «l'appel d'air» - autrement dit l'ultime afflux de migrants - que peut déclencher l'annonce du couperet final. À Bruxelles, la chancelière a été véhémente tout au long de la négociation: l'accord devait être d'application immédiate, «dans un délai de quelques jours».
«Tous ceux qui traversent irrégulièrement la mer Égée vont être renvoyés»
Angela Merkel
Plus que l'aptitude de la Grèce à faire face, c'est la vigueur de l'avertissement lancé aux candidats au départ qui primera aux premières heures. «Tous ceux qui traversent irrégulièrement la mer Égée vont être renvoyés», assure Angela Merkel. En clair, l'aventure ne mène plus nulle part! Le mois dernier, migrants et réfugiés avaient déjà vu s'évanouir le «mirage» allemand, avec la fermeture graduelle de la route des Balkans, à partir de la Macédoine. Le premier ministre Ahmet Davutoglu a salué un «jour historique». La Turquie a sa propre urgence: elle compte se soulager d'une partie des 2,5 millions de réfugiés de guerre qu'elle héberge.
Le point de départ est le dispositif provisoire «1 pour 1», confirmé vendredi à Bruxelles: pour chaque Syrien réadmis de Grèce après expulsion, Ankara pourra obtenir l'accueil en Europe d'un Syrien séjournant dans les camps turcs. Dans l'immédiat, l'effet est neutre et limité, puisque l'accord plafonne les effectifs à 18.000 dans un premier temps. Mais l'Allemagne et le Royaume-Uni militent déjà, malgré les réticences françaises, en faveur de «réinstallations» plus larges. Elles pourraient être finalement étendues aux Syriens hébergés dans les camps du Liban et de Jordanie.
Malgré quelques états d'âme publics, aucun des vingt-huit dirigeants ne s'est opposé, à Bruxelles, au précepte central du pacte: le renvoi en Turquie de «tout migrant nouvellement arrivé dans les îles grecques». À huis clos, le débat a plutôt porté sur deux points sensibles: l'«emballage» humanitaire à donner à un retournement total vis-à-vis de Syriens naguère accueillis à bras ouverts et la justification des avantages consentis, à rebours de l'opinion, au régime autoritaire du président Erdogan.
La Turquie a dû rogner ses ambitions. Ankara obtient la promesse formelle d'une rallonge européenne de 3 milliards d'euros d'ici à la fin de 2018. La fin des visas que l'UE impose aux Turcs pour des séjours de moins de 90 jours reste officiellement programmée pour la fin juin.
La déclaration Turquie-UE confirme le caractère quasi systématique des expulsions, mais tempère leur brutalité par des engagements dictés par les conventions de Genève et les traités européens. Il n'y aura pas de renvoi «collectif», chaque nouvel arrivant aura droit à «examen individuel» de sa demande d'asile en Grèce, pour peu qu'elle soit posée ou recevable. Le commissariat aux réfugiés de l'ONU est invité à surveiller les opérations, aux côtés de l'administration grecque et des agences européennes.
De son côté, la Turquie a dû rogner ses ambitions. Ankara obtient la promesse formelle d'une rallonge européenne de 3 milliards d'euros d'ici à la fin de 2018. La fin des visas que l'UE impose aux Turcs pour des séjours de moins de 90 jours reste officiellement programmée pour la fin juin. Mais à l'insistance de François Hollande, la levée est désormais strictement liée au respect d'une longue série de préalables techniques et politiques difficiles à remplir.
Pour Recep Tayyip Erdogan, une autre question d'amour-propre est la relance de la procédure d'adhésion à l'UE, en panne depuis plusieurs années. Ankara réclamait l'ouverture rapide de 5 des 35 «chapitres» de négociation. Ce sont autant d'obstacles à franchir dans ce marathon engagé depuis 2005. Le président turc n'en a finalement obtenu qu'un seul, sur un sujet technique qui fait consensus: le rapprochement des règles financières et budgétaires. Cette demi-concession a permis de contourner le veto de la république de Chypre, membre de l'UE depuis 2004 et particulièrement susceptible face à l'entrisme turc.
Source: Figaro