Migrants: doutes sur l'accord UE-Turquie
Le projet d'accord sur les migrants suscite des questions sur d'éventuelles compromissions avec le régime turc.
La mariée turque est sans doute un peu trop belle. Au sommet, les partenaires de l'Allemagne n'avaient pas vraiment apprécié la façon dont Angela Merkel leur a forcé la main sur les réfugiés, pour la seconde fois. Ce qui les inquiète depuis lundi, c'est la validité même d'un pacte qui reste à signer, en principe dès la semaine prochaine.
Le point crucial est l'engagement d'Ankara à reprendre tous les migrants qui traversent la mer Égée, Syriens et demandeurs d'asile compris, au moins à titre provisoire. Les capitales, comme le Parlement européen trouvent le prix trop lourd à payer, qu'il s'agisse du respect des droits de l'homme, des concessions politiques offertes au président turc Erdogan, de l'image que l'Europe voudrait donner d'elle-même ou tout simplement de la facture présentée par Ankara. «Soyons réalistes, le règlement de la crise migratoire passe par la Turquie, reconnaît un diplomate. Mais nous ne pouvons pas tout accepter. Il va falloir rectifier le tir.»
Vérifier la légalité du plan
La conformité au droit international du renvoi des réfugiés syriens de l'autre côté de la mer Égée est la question sensible, d'autant que l'initiative en revient à la chancelière: celle-là même qui avait ouvert la porte de l'Europe à la fin de l'été, sans plus de préavis. Le revirement allemand, officiellement présenté lundi comme une «nouvelle donne» turque, a pris le sommet des 28 à contre-pied. Il a aussi stupéfait, voire discrédité l'homme qui négociait jusque-là au nom de l'UE: le président du Conseil européen, Donald Tusk.
Jeudi, la frustration était palpable au rendez-vous mensuel des ministres de l'Intérieur, premier conclave à 28 depuis le sommet où le premier ministre turc a dévoilé ses batteries. Du Luxembourg à l'Autriche, de la Belgique à la République tchèque, les alliés comme les censeurs de l'Allemagne ont exprimé leurs doutes sur la légalité du renvoi des demandeurs d'asile vers la Turquie. «Il y a peut-être une voie juridique pour y parvenir, dit prudemment le représentant d'un pays voisin. Mais il faudrait d'abord connaître le détail de l'accord.» Plusieurs capitales européennes expriment également des réserves sur la suppression des visas pour les citoyens turcs dès cet été, un des éléments clefs du compromis avec Ankara. À Donald Tusk maintenant de reprendre sa mission avec Ankara, avec une autre feuille de route. C'est un autre sommet européen qui trancherait dans six jours, avec à nouveau Ahmet Davutoglu.
«Je suis préoccupé par les possibles expulsions collectives et arbitraires, elles sont illégales» Ra'ad al-Hussein, haut-commissaire aux droits de l'homme
La convention de Genève, intégrée aux traités européens, interdit par principe le refoulement des demandeurs d'asile, contrairement à ce que l'entente Merkel-Davutoglu prévoit pour les Syriens. Mais il existe une exception d'«irrecevabilité», si le demandeur d'asile a transité par un pays «sûr», autrement dit un État qui lui garantit une protection internationale. La Turquie est-elle un pays sûr? L'UE ne l'a pas encore reconnu officiellement. Et si la preuve du contraire était apportée -par exemple devant la justice internationale-, c'est le compromis tout entier qui risque de s'effondrer.
L'ONU s'inquiète à son tour de l'accord en projet. «Je suis préoccupé par les possibles expulsions collectives et arbitraires, elles sont illégales», avertit Ra'ad al-Hussein, haut-commissaire aux droits de l'homme. Le Parlement européen, lui, a déjà dit tout le mal qu'il pense de l'autoritarisme du président Erdogan, de la droite à la gauche, jusqu'aux extrêmes. C'est «un régime qui muselle sa presse (…) et bombarde sa propre population», dit Philippe Lamberts, vice-président des Verts. Comme en écho, Marine Le Pen ajoute: «Et c'est ce régime-là que vous voudriez intégrer à l'Europe?»
Ayrault: «Merkel a moralement et politiquement raison»
Prenant le contre-pied du chef du gouvernement Manuel Valls, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a estimé jeudi, dans une interview à la chaîne d'information en continu i-Télé, que la chancelière allemande, Angela Merkel, avait «moralement et politiquement raison» d'ouvrir les portes de son pays aux réfugiés syriens. «Après, la situation de l'Allemagne n'est pas la même (que celle de la France). C'est un pays qui a des besoins de main-d'œuvre (…), qui a une capacité d'accueil sans doute plus grande», a-t-il nuancé. Jean-Marc Ayrault a également insisté sur la nécessité pour la France d'accueillir des réfugiés, un «droit sacré» selon lui, et pour les responsables politiques d'expliquer cet enjeu à une opinion légitimement «inquiète». «Si on n'explique pas les choses, la confusion s'installe dans les esprits, des angoisses et aussi des exploitations politiques, l'extrême droite, les conservateurs qui exploitent les peurs», a-t-il déclaré.