Les délices de l'environnementalisme capitaliste

27.04.2023

Depuis longtemps, il est impossible d'échapper à la publicité la plus intrusive sur l'agréable tronçon de la capitale ambrosienne qui mène à la gare. La forme la plus intrusive est de loin les écrans omniprésents qui lâchent leurs bombes publicitaires 24 heures sur 24, parfois sous une forme directe, parfois déguisée en "information".

L'intrus harcelant qui apparaissait sur les écrans aujourd'hui était une archistar bien connu qui vantait, avec le sérieux professionnel qui caractérise cette classe, le caractère indispensable de la "durabilité" aujourd'hui. La "durabilité" est aujourd'hui, selon elle, un devoir moral auquel personne ne peut se soustraire. À l'arrière-plan du lieu de l'entretien, on pouvait voir la belle arcade de la Statale di Milano, qui, comme chaque année, pendant le Salone del Mobile, est envahie par des installations polychromes et impressionnantes. Ceux qui ont la chance de se promener dans les espaces universitaires, de plus en plus réfractaires aux futilités du savoir, peuvent admirer chaque année une grande variété d'installations, dont certaines sont objectivement spectaculaires. Le thème de cette année, et d'ailleurs de presque toutes les éditions récentes, est l'ENVIRONNEMENT. Sur une pile colossale de conteneurs créatifs, plantés à côté de bas-reliefs centenaires, les mots "Save the Planet" (Sauvez la planète) se distinguent cette année.

Le site web du Fuori Salone 2023 indique, et nous n'avons aucune raison de ne pas le croire, que Milan est animée ces jours-ci par pas moins de 946 événements dans différents quartiers de la ville. Chacun de ces événements est préparé par des semaines de travail manifeste (souvent de véritables chantiers) et des mois de travail sur le projet.

Comme chacun peut le constater, chaque année, ces événements sont précédés d'une quinzaine de jours de travail consacrés à la construction de ces installations créatives, suivis, à la fin de l'événement, d'une bonne semaine de destruction de ces mêmes installations, qui sont ensuite destinées à la décharge.

Voilà. Permettez-moi maintenant cette réflexion discrète.

Lorsque nous parlons de "durabilité", si nous nous sommes demandé ce que ce mot signifie, nous devrions savoir que nous parlons d'une question exquisément LIMITÉE. Plus précisément, toutes les activités que nous menons sont, bien entendu, productrices d'entropie sous diverses formes. Nous consommons des ressources et produisons du désordre, des déchets, de la pollution, des sous-produits. La planète que nous sommes  appelés à sauver en choeur est un système en équilibre qui a heureusement certaines capacités à métaboliser les déchets et à reconstituer ses ressources (essentiellement grâce à l'apport du rayonnement solaire). Mais ce que nous savons au moins depuis les études d'Herman Daly dans les années 1970, c'est qu'un système à croissance infinie comme celui de l'économie contemporaine est sur une trajectoire de collision fatale avec des systèmes finis en équilibre comme les écosystèmes (et les organismes individuels qui les composent). D'où le problème de la durabilité environnementale.

Ce problème ne peut être contourné d'aucune manière. Le terme "durabilité" signifie et ne peut signifier qu'une seule chose, à savoir l'acceptation de limites. Pas des limites au développement social et culturel, mais certainement des limites à la croissance de la consommation et de la production de déchets. La question du "réchauffement climatique", pour ceux qui y tiennent, n'est qu'une des implications possibles de cette contradiction structurelle, mais tous les problèmes nombreux et avérés (et, contrairement au "réchauffement climatique", passés sous silence) de déséquilibre environnemental dans le monde contemporain dépendent de ce même mécanisme.

C'est bien. Revenons un instant à notre archistar et à ses propos sur l'impératif de durabilité. Si nous parlons de durabilité, nous parlons, comme nous l'avons dit, de limites. La question centrale, la seule dont nous devrions sérieusement nous préoccuper, est la suivante : quelles limites ?

Au nom d'une lecture totalement unilatérale de l'environnementalisme, on ne cesse aujourd'hui d'expliquer aux plébéiens qu'il faut réduire la consommation, fermer les radiateurs, éteindre les lumières, mettre à la casse la vieille voiture pour acheter (avec un bonus !) des voitures électriques quatre fois plus chères, manger de la viande synthétique et des farines d'insectes, cesser les barbecues, doter la maison familiale de certificats d'énergie, etc. Et simultanément, de manière à peine déguisée, nous sommes entourés des pressions morales les plus diverses visant à cesser de nous reproduire, à accueillir avec le sourire toute compression salariale, et enfin à quitter cette vallée de larmes anticipativement. Le message de base dont nous sommes bombardés est le suivant : "Vous êtes un vivant pernicieux, honte à vous, essayez de produire beaucoup, de consommer peu et de mourir vite".

Et d'autre part ce que l'on ne ferait pas pour sauver la planète.

Bref, notre chère archistar, du haut de sa conscience supérieure du bien suprême de la planète nous explique, avec une pointe de mépris, qu'il faut arrêter de faire la fête, comme nous l'avons manifestement fait sans discontinuer jusqu'à présent, parce que, bon sang, nous avons vécu au-dessus de nos moyens et qu'il est temps d'y mettre un terme. Donc, si je comprends bien, elle essaie de nous expliquer que des choses comme ce potlatch monstrueux qu'elle a utilisé pour divertir des publics du monde entier relèvent de la "durabilité" (c'est d'ailleurs écrit dessus). Cette foire de l'éphémère, ces publicités colossales destinées à la casse dans une semaine sont le visage progressiste de la "durabilité", et c'est vous qui ne comprenez pas.

Ce grand feu de joie cyclique fait pour la plus grande gloire des ventes n'est bien sûr pas le privilège des pauvres fabricants de meubles. Imaginez un peu. Ce bûcher est en compagnie constante d'un essaim mondial de bûchers sacrificiels aux mêmes fins publicitaires, diffusés de force sur des millions d'écrans dans des lieux publics. Et comme la publicité est une marchandise de position, qui dépend de sa relation avec les concurrents, il n'y a pas de limite au nombre de ressources mises en œuvre pour inciter les consommateurs à consommer (mais une consommation vertueuse, écologique et durable !).

Et qu'est-ce que la consommation verte ? Eh bien, comme on le sait, depuis des années, le seul secteur qui continue à avoir une consommation (et des revenus) en hausse est celui du luxe. Ce dernier est, bien entendu, à la pointe de la technologie, et donc vert, très vert, pas comme cette saloperie de barbecue du dimanche, pas comme ce putain de tacot qu'on vous a garanti il y a dix ans comme étant respectueux de l'environnement ?

Car, au cas où vous ne l'auriez pas réalisé, brûler 20 % des ressources industrielles mondiales pour du flou chromatique, du battage créatif, des balivernes mercantiles afin d'obtenir une part du marché, c'est cela l'"écologie". Acheter le troisième yacht ou la dixième Ferrari est écologique et sent bon l'haleine fraîche. Brûler 130 milliards de dépenses militaires pour le compte de tiers est également écologique.

Il suffit d'arrêter de boire, de manger, de se reproduire, de se casser les couilles sur le TC et de produire des flatulences (qui sont des gaz à effet de serre).

Alors, nous nous entendrons et la planète sera sauvée.

Source

Traduction par Robert Steuckers