LA PSEUDO-SCIENCE ET L’IMPERIALISME PRIS LA MAIN DANS LE SAC

22.06.2023
NOTES CRITIQUES DE L’INSTITUT DE L’AFRIQUE DES LIBERTES SUR L’ARTICLE DU ROYAL EGMONT INSTITUTE DE BRUXELLES SOUS LE TITRE « The UN Security Council and The Future Of MINUSMA »

Dans une étude[1] publiée le 19 juin 2023 sur le site de référence de l’Institut Royal Egmont, basé dans la capitale de l’Union Européenne et de l’OTAN , Bruxelles, un duo de chercheurs de cet organisme s’évertue à analyser la corrélation entre l’action du Conseil de Sécurité de l’ONU et le futur de la MINUSMA (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali). Ces auteurs concluent que face à la demande de retrait « sans délai » de la MINUSMA formulée par le gouvernement du Mali par la voix de son ministre des affaires étrangères Abdoulaye Diop le 16 juin 2023 devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, toute décision de cette instance qui irait dans le sens des exigences du Gouvernement de Transition du Mali serait nuisible à court, moyen ou long terme non seulement à l’action des Missions de paix de l’ONU en Afrique et dans le monde, mais également aux populations civiles du Mali . Nous comptons montrer dans la présente analyse critique de ladite étude que les chercheurs de l’Institut Royal Egmont, dont la fascination monarchiste est en contradiction avec leur prétendue défense des valeurs démocratiques, se sont lourdement trompés : a) Sur le bilan de l’action de la MINUSMA contre le terrorisme au Mali ; b) Sur la nature du régime de Transition du Président Assimi Goïta en cours au Mali ; c) Sur les portées politique interne et externe réelles de la demande de retrait immédiat des forces de l’ONU du sol africain du Mali.

I

Sur le bilan de la MINUSMA, après 10 années d’existence au Mali, de 2013-2023, les fausses données de base de l’Egmont Institute

Commençons par montrer que la base de données scientifiques de l’Egmont Institute sur la situation au Mali étant fausses voire inexistantes, ses conclusions ne pouvaient qu’en être erronées, lorsque notamment les deux scientifiques affirment sans sourciller que la MINUSMA a vraiment essayé de stabiliser le Mali. Pire, ils prétendent qu’ « IL n’y a aucun doute que la MINUSMA s’est employée à réduire la violence contre les populations civiles durant la décade passée. »[2] Tout ceci n’est appuyé par aucune preuve matérielle, aucun chiffre, ni aucune cartographie de la situation du pays au moment de l’arrivée de la MINUSMA d’une part, et au moment de l’avènement du régime de Transition d’autre part. Une telle amorce du problème relève clairement de la légèreté intellectuelle. Comment juger d’une situation dont on ignore les données factuelles ?

La MINUSMA a été installée au Mali en 2013 avec pour principal mandat d’accompagner les forces de sécurité du pays pour protéger[3] les populations contre le terrorisme et restaurer entièrement l’autorité de l’Etat malien sur l’ensemble du territoire. Or, il convient de rappeler qu’en janvier 2013, seule une partie du nord du Mali était en proie aux attaques des groupes armés terroristes d’Al Qaida et de l’Etat Islamique.

En 2020, au moment du premier coup d’Etat contre le régime inefficace, corrompu et vomi d’Ibrahim Boubakar Kéita au Mali, parachevant du reste une révolution populaire contre l’échec de son régime, soit près de huit ans plus tard, quelle est la situation dans laquelle le Mali se trouvait ? La totalité du territoire malien était touchée par les actions criminelles des groupes terroristes. Si l’on prétend que la MINUSMA et le gouvernement démocratiquement élu d’IBK ont plutôt bien fait leur travail, comment expliquer l’ampleur prise par les agressions terroristes sur tout le territoire malien ?

Regardons attentivement deux cartes, l’une de la situation au moment de l’arrivée de la MINUSMA et l’autre, de la situation près de 10 ans après l’arrivée de la MINUSMA.

Sources : Logiciel Cartes et Données Arctique

 

Ainsi l’efficacité de la MINUSMA consiste davantage en l’expansion de la déstabilisation qu’en celle de la stabilisation du Mali. On comprend dès lors que la presse française, 5 ans seulement après l’arrivée de l’armée française et de la MINUSMA au secours du Mali, dès 2018, ait pu écrire :

« Mali, une guerre sans fin. Cinq ans après l’intervention française, qui avait chassé les djihadistes du nord du Mali, les attaques terroristes se multiplient et des zones entières du pays échappent au contrôle des forces maliennes et de l’ONU. »[4]

Et d’ajouter le 30 avril 2018 sous la plume alerte de Philippe Martinat dans Le Parisien :

« Comment en sortir? Plus de cinq ans après l'intervention française au Mali pour stopper l'expansion des djihadistes et après le déploiement de Barkhane (dispositif de 3 000 militaires qui a pris la suite de Serval) et de la Minusma (Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali), le chaos règne toujours. Preuve en est la tuerie cette semaine d'une quarantaine de civils touaregs, dont des vieillards, des femmes et des enfants, dans le nord-est du pays, à la frontière avec le Niger. Ou l' attaque spectaculaire de la base commune de la Minusma et de Barkhane, le 14 avril dernier à Tombouctou, qualifiée de « sans précédent » par les autorités militaires.

Les 12 000 casques bleus déployés semblent impuissants. Harcelés par les djihadistes, ils ne quittent guère leurs casernements. Les forces armées maliennes (Famas) peinent toujours à s'imposer sur le terrain et une certaine porosité existe entre les groupes armés parties prenantes des accords de paix avec l'Etat malien et les mouvements terroristes affiliés à Al Qaïda ou à Daech qui ne comptent que quelques centaines de combattants permanents mais ont des relais incontestables dans la population. »[5]

De ce qui précède, aucune équipe de recherche scientifique digne de ce nom ne peut donc conclure, comme le font les chercheurs de l’Institut Royal Egmont, que la MINUSMA a mené à bien sa mission au Mali et que les deux coups d’Etat militaires de 2020 et 2021 sont les causes majeures de l’affaiblissement de la MINUSMA, en raison des restrictions d’accès , de mobilité et de rotations imposées dès 2021 par les autorités de la Transition malienne. L’échec massif de la MINUSMA est une donnée apodictique. Le ministre malien des affaires étrangères Abdoulaye Diop a donc eu parfaitement raison d’observer le 16 juin 2023 :

« Le réalisme impose le constat de l'échec de la MINUSMA dont le mandat ne répond pas au défi sécuritaire »[6]

Prétendre en outre comme le font nos deux chercheurs pressés, que la responsabilité principale de la sécurité du pays incombant au gouvernement, ce dernier doit être tenu pour l’unique responsable de l’échec de la lutte antiterroriste avec la MINUSMA et Barkhane, relève d’une fuite en avant qui ne peut biffer l’évidence de l’échec de ces assistances sécuritaires. Mieux, ce triple échec du régime IBK, de la force Barkhane et de la MINUSMA à vaincre pendant dix ans le terrorisme au Mali, vient au contraire légitimer l’insurrection populaire et les deux coups d’Etat de 2020-2021 comme sursauts d’orgueil du peuple malien face à l’impéritie. En effet, une mission bornée au maintien de la paix ne peut rien maintenir quand c’est la guerre qui règne, comme l’a encore rappelé le chef de la diplomatie malienne.

II

De la nature du Régime de Transition du Mali Kura dirigé par le Colonel Assimi Goita, Président de la Transition, Chef de l’Etat

Faisant preuve d’une grande paresse intellectuelle, les chercheurs du Royal Egmont Institute ne se gênent pas pour reprendre platement le concept de junte, que les médias et officiels français attitrés ont attribué à l’actuel pouvoir malien. Stricto sensu, en effet, une junte militaire est un « groupe de militaires de haut rang qui se saisissent du pouvoir politique. »[7] Mais, il existe dans la langue latine elle-même, une extension souverainiste du concept de junte que nos chercheurs pressés ignorent ou font mine d’ignorer. Ainsi, le dictionnaire Robert nous rappelle également que dans les pays ibériques, la notion de junte ne se réduit pas seulement à son acception militaire. La junta est « autrefois, dans les pays ibériques, conseil politique ou administratif, régulier ou révolutionnaire »[8]En ce sens précis, le Général de Gaulle et la Résistance Française qui fonderont la 5ème République en 58 étaient également une junte entre 1940 et 1945 au minimum, puisque c’est au terme d’un processus révolutionnaire et putschiste qu’ils renverseront le régime de Pétain et finiront par créer l’actuelle République Française, après s’être saisis du pouvoir politique en France par les armes.

Dans le cas précis du Mali qui nous concerne, la notion militariste de junte ne saurait aujourd’hui valoir car c’est au terme d’un processus révolutionnaire populaire contre le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita que le Colonel Assimi Goïta, en phase avec de nombreux mouvements fortement représentatifs de la société civile malienne comme Yèrêwolo Debout sur Les Remparts ou le M5RFP, prendra successivement le pouvoir en 2020 et 2021.

Loin d’être un coup d’Etat réactionnaire, ayant pour but le retour à un ordre ancien vomi par le peuple, loin d’être une action de plus au service des intérêts du néocolonialisme français ou de l’impérialisme des grandes puissances de l’Est ou de l’Ouest, le processus du Mali Kura qui a porté le Président Goïta et ses compagnons au pouvoir est fondé sur une quadruple légitimité :

-Militaire d’abord, car Assimi Goïta et ses frères d’armes représentent l’ossature consciente de l’armée malienne qui connut l’humiliation néocolonialiste de 2013 aux portes de Kidal, lorsqu’elle fut, à sa surprise, empêchée par l’armée française de vaincre les terroristes et de les bouter à jamais en dehors du territoire malien.

-Légitimité populaire ensuite, car c’est en phase avec le peuple malien révolté que le Colonel Goïta a pris le pouvoir, prenant soin de s’entourer, via un Premier Ministre civil, du soutien de l’essentiel de la classe politique patriotique et républicaine du pays.

- Légitimité démocratique , comme l’ont montré les assises nationales de la Refondation de décembre 2021 et la grande mobilisation de plus de 5 millions de Maliens le 14 janvier 2022 pour faire face aux sanctions illégales, illégitimes et inhumaines décidées par une CEDEAO aux ordres des puissances occidentales le 9 janvier 2022 contre le Mali en raison de sa décision de coopérer avec le Bloc de Shanghai (Russie, Chine) dans la lutte antiterroriste en lieu et place de l’OTAN, de l’UE et de la France.

-Légitimité idéologique ensuite, en raison des trois principes panafricanistes et souverainistes de la gouvernance malienne sous le Président Goïta : souveraineté/liberté de choix géostratégiques/intérêts vitaux du peuple. Tout ceci en phase avec l’idéal panafricaniste des pères fondateurs de l’Unité Africaine, à laquelle la constitution du Mali demeure fort attachée, y compris dans sa nouvelle mouture soumise au référendum le 18 juin 2023.

Prétendre, au regard de tout ce qui précède, que le régime du Président Assimi Goita souffrirait d’une crise de légitimité dont le Conseil de Sécurité pourrait à raison s’emparer comme argument pour ne pas appliquer l’exigence de retrait sans délai formulée le 16 juin 2023 par le Chef de la Diplomatie malienne, c’est donc se tromper lourdement sur la nature populaire, révolutionnaire, démocratique et panafricaniste du gouvernement de Transition actuel. En réalité loin d’être une junte comme la presse de la Françafrique se plaît à le dénigrer, le régime du Mali Kura est l’émanation substantielle du peuple malien, comme en ont attesté les données de l’ensemble des sondages effectués sur le territoire malien par la fondation allemande Friedrich Ebert,[9] dans ses Malimètres 2022[10] et 2023 [11]notamment. On ne peut donc que s’étonner que de prétendus scientifiques rassemblés dans le Royal Egmont Institute fassent complètement fi des données d’authentiques études de terrain comme celles de la Friedrich Ebert Stiftung-Mali, et privilégient les évaluations fictives d’une équipe d’enquêteurs de l’ONU qui n’a jamais mis le pied sur le territoire malien avant de publier son infâmant rapport sur le prétendu massacre de 500 civils maliens à Moura.

Et si même le très françafricain journal le Monde s’est senti obligé de reconnaître le fait massif de l’adhésion populaire des Maliennes et des maliens au régime d’Assimi Goita et en ses nouveaux alliés russes, comment comprendre que ce fait sociopolitique fort soit omis dans les analyses du Royal Egmont Institute ? Voici pourtant, publié le 20 mai 2022 - à titre d’illustration de l’embellie malienne sous le régime de Transition - le résumé du Malimètre 2022 effectué par la Fondation allemande :

« Quelque 84% des Maliens trouvent que la situation générale du pays s’est améliorée au cours des douze derniers mois, selon les
résultats de la 13è enquête d’opinion intitulée ‘Mali Mètre’ de la Fondation Friedrich Ebert Stiftung rendus publics jeudi à Bamako.
Durant la même période, 8% des personnes sondées estiment que la situation du Mali s’est plutôt détériorée. Le même nombre de Maliens pense que la situation est restée au même niveau, indiquent ces résultats.

Cette enquête d’opinion politique est menée au Mali depuis fin 2012. Elle a recueilli les opinions des Maliens sur différentes questions marquantes de l’actualité ou décisives pour le présent et le futur du pays.

Selon Christian Klatt, qui a présenté les conclusions du sondage, la proportion de personnes estimant que la situation générale du pays s’est améliorée a augmenté de 50% par rapport à 2021 et de 58% en comparaison à 2017. Toutefois, a-t-il précisé, elle est de 20% en deçà des statistiques se situant entre 2019 et 2021.

Outre l’évolution de la situation générale du pays, le sondage d’opinion a interrogé les défis auxquels le Mali est confronté actuellement. En la matière, 76% des sondés se sont dit préoccupés par la lutte contre l’insécurité. Si la lutte contre l’insécurité alimentaire inquiète 48% des songés, celle contre le chômage des jeunes est un défi majeur pour 41% de personnes interrogées. La lutte contre la pauvreté focalise l’attention de 40% d’entre eux.
Ces préoccupations restent presque les mêmes que celles soulevées lors des cinq dernières années, a noté le présentateur du rapport d’enquête. Les principaux défis et priorités du Mali évoquées à l’occasion étaient entre autres, la lutte contre l’insécurité, le chômage des jeunes, la lutte contre l’insécurité alimentaire, la pauvreté ainsi que l’amélioration du système éducatif.

Concernant la gestion de la Transition, a exposé Christian Klatt, plus de neuf personnes sur dix sont satisfaites, dont 67% très satisfaits et 28% plutôt satisfaits de la gestion de la Transition. Parmi les autorités de la Transition, le président de la Transition est la personnalité en qui les personnes enquêtées ont le plus confiance avec un taux de 72%.

Par rapport aux partenaires internationaux, les principales attentes des Maliens sont : la lutte contre l’insécurité (75%), la lutte contre l’insécurité alimentaire (42%), la lutte contre le chômage des jeunes (39%) et la lutte contre la pauvreté (36%). Plus de la moitié des enquêtés estiment que les conflits inter et intracommunautaires sont inexistants, note le document.

L’enquête s’est également intéressée aux principales sources d’information des Maliens sur l’actualité. À ce niveau, Il a été constaté que 38% des Maliens s’informent à travers la radio, 27% par la télévision, 11% sur Facebook, 8% sur les sites internet et 8% par le bouche à oreille.

Cette enquête a été menée auprès de 2.344 personnes âgées de 18 ans ou plus se trouvant dans les capitales régionales et le District de Bamako du 13 mars au 4 avril 2022. La taille de l’échantillon a été fixée suivant la formule d’estimation d’une proportion. Sa taille finale a tenu compte de deux autres aspects : ajustement des régions à faible poids et anticipation de la non réponse.

Le tirage de l’échantillon a été fait de sorte à assurer la représentativité de la population vis-à-vis de sa structure démographique. Comme technique de collecte, les enquêteurs ont utilisé la méthode des quotas avec des catégories comme le sexe, l’âge et le niveau d’instruction. Le plan d’échantillonnage adopté garantit une représentativité égalitaire entre les deux sexes (50% de l’échantillon enquêté sont des femmes) »[12]

On le voit donc clairement, la diabolisation du régime de Transition du Mali par les grandes pompes de la presse occidentale et par cette étude de l’Egmont Royal Institute que nous critiquons n’est rien d’autre qu’une forme de règlement de comptes sous les alibis démocratiques et humanitaires, par une élite politique occidentale qui considère que le désaveu des politiques africaines de l’OTAN, de la France, de l’ONU, de l’UA, de l’UE ou de la CEDEAO par les masses populaires conscientisées d’Afrique de l’Ouest et par les régimes panafricanistes sonne le glas de l’hégémonie occidentale multiséculaire.

Il reste, dans ces conditions clarifiées, à réévaluer la portée interne et externe de la décision malienne d’ordonner le retrait immédiat de la MINUSMA du sol du Mali.

III

Portées interne et externes de la décision malienne d’ordonner le retrait sans délai[13] de la MINUSMA du Mali

L’étude critiquée de l’Egmont Royal Institute donne l’impression que la décision malienne serait une grave atteinte aux prérogatives de l’ONU, aux intérêts qui seraient liés entre la MINUSMA et les populations civiles du Mali. Il n’y a rien de plus faux, en réalité.

D’abord parce que la Charte de l’ONU n’abolit point le principe inaliénable de la souveraineté[14] des peuples, que celle-ci s’exprime par un gouvernement de Transition pour par un soulèvement révolutionnaire du Peuple. En vertu de ce principe, le Gouvernement, l’Etat et le Peuple du Mali sont fondés à requérir à tout moment de leur existence, le départ des troupes étrangères présentes sur leur sol.

Le Peuple Malien s’est justement activement saisi de son droit souverain et l’exerce pleinement, de rue à l’urne, des villes aux campagnes. De ce point de vue, les chercheurs de l’Institut Egmont font mine d’ignorer que le départ de la MINUSMA est d’abord la plus large et la plus majoritaire des revendications populaires[15] au Mali après le départ des forces françaises, concernant des troupes étrangères. Plusieurs mobilisations populaires ont eu lieu à travers le pays pour demander que l’ONU retire ses contingents inutiles à la lutte antiterroriste. Comment ces chercheurs occidentaux peuvent-ils ignorer toutes les mobilisations[16] contre la présence de cette MINUSMA ?

D’un point de vue interne, cette décision d’ordonner le retrait immédiat de la MINUSMA confirme la symbiose entre le peuple, l’Etat, l’armée et le gouvernement de Transition du Mali. Elle rejoint les aspirations les plus largement partagées par les Maliennes et les Maliens et confirme la légitimité interne du régime du Président Assimi Goïta.

Qu’en est-il cependant au plan externe ? Quelles seront les conséquences internationales de la décision souveraine, sensée et consensuelle sur plan interne malien de demander aux soldats de l’ONU de se retirer sans délai ? Les experts du Royal Egmont Institute imaginent trois scénarios qu’ils estiment tous lourds de conséquences.

La première option, nous disent-ils, serait de renouveler le mandat de la MINUSMA, en arguant que le gouvernement de Transition, méprisé sous le concept de junte, n’est pas l’émanation de la souveraineté démocratique et n’aurait donc pas titre pour décider au nom du Peuple malien. Il faudrait bien sûr qu’une telle solution ne rencontre point le veto russe ou chinois sur son chemin, devant le Conseil de Sécurité de l’ONU en cette fin juin 2023. Mais à supposer que le renouvellement soit acté, nos experts - plutôt clignotants en lucidité - s’empressent avec raison de souligner que ceci conduirait à un conflit direct entre le régime Goïta et les forces de l’ONU. Pourtant, leur raisonnement s’avère court, car le gouvernement malien agit sur la base d’une large adhésion populaire et d’une mobilisation massive des opinions africaines fortement remontées contre le néocolonialisme et l’impérialisme occidentaux, mais aussi contre les dictatures soutenues par les puissances étrangères hostiles à l’indépendance réelle de l’Afrique. Du coup, refuser de partir, c’est courir davantage que le risque de subir les foudres du pouvoir, celui d’être chassé par une mobilisation populaire irrépressible et soutenue par les autorités qui en sont elles-mêmes tributaires. Il vaudrait donc mieux pour la MINUSMA de partir, comme l’ONU a dû par le passé partir du Burundi et l’Erythrée, dans des circonstances relativement comparables.

La seconde option, nous disent les fins limiers de Bruxelles, serait donc le retrait de la MINUSMA conformément à l’exigence souveraine malienne. Ou encore de ne pas renouveler le mandat de la MINUSMA, ce qui entraînerait son retrait dans la foulée. C’est bien la seule option qui respecte l’expression souveraine du Peuple Malien. Mais nos experts bruxellois, préoccupés de sauver à tout prix l’hégémonie occidentale, la goûtent avec amertume et y voient un fâcheux précédent qui donnerait pouvoir aux juntes de dicter leurs quatre volontés à la sacro-sainte ONU, avec le soutien de la non moins diabolisée Russie avec sa milice Wagner. Pourtant, combien de résolutions punitives l’ONU a-t-elle pu prendre contre les crimes de guerre occidentaux en bientôt un siècle d’existence ? Qu’en est-il des nombreuses résolutions de l’ONU échouées aux pieds d’Israël dans la crise palestinienne ? Combien de résolutions de l’ONU contre le soutien de nombreuses puissances occidentales aux pires dictatures de la planète ? Le « deux poids, deux mesures » des experts royaux de Bruxelles, curieusement sujets de leurs majestés monarchiques héréditaires et défenseurs concomitants de la démocratie, est ici tout simplement flagrant. Tout comme le refus de prendre en compte l’assise populaire indéniable du régime de Transition du Mali actuel. On voit donc aussi que l’ONU n’a pas d’autre choix que de respecter le choix souverain du Peuple malien. Le département d’Etat américain semble du reste relativement l’avoir compris, dans sa déclaration[17] du 19 juin 2023 que nous reproduisons ci-dessous, tout en suggérant bien sûr de toujours la prendre avec des pincettes :

 

En reconnaissant que « Le retrait de la MINUSMA doit se faire de manière ordonnée et responsable … », le leader du bloc occidental semble accuser le coup – nous disons bien « semble » - , d’autant plus qu’il a conscience du 3ème scenario évoqué par les chercheurs bruxellois, lequel scénario reconnaît le poids diplomatique acquis par le Mali du leader Assimi Goïta à la suite de son changement de cap géopolitique et géostratégique en faveur d’une coopération sécuritaire plus étroite avec les puissances du Bloc de Shanghaï et plus largement du monde multipolaire.

Selon le troisième et dernier scénario envisagé, la Russie, principal et puissant allié du Mali, qui a amplement été consultée par le Mali avant l’ouverture des hostilités onusiennes en ce mois de juin 2021, opposerait son veto ferme à un renouvellement de la MINUSMA, suite à la décision souveraine du Mali annoncée le 16 juin 2023. La Russie emboîterait ainsi le pas au Burkina Faso, qui a aussitôt après l’annonce de la décision malienne, marqué son empressement à respecter la souveraineté de son allié de Bamako, en annonçant le retrait imminent de son contingent dans la MINUSMA. Mieux, la Russie, en bloquant de son puissant veto, la résolution renouvelant la MINUSMA assumerait comme en 2009 pour le cas de la Georgie, une division du Conseil de Sécurité de l’ONU, consacrant également la contestation de l’hégémonie unilatérale et multiséculaire de l’Occident sur les relations internationales. Le tweet ci-dessous du Président Malien Assimi Goïta ne semble-t-il pas confirmer cette détermination commune, tout comme l’intense consultation préalable observée entre le chef de la diplomatie malienne et l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassili Nebenzia ? La suite des événements en ce mois de juin 2023 nous dira vite ce qu’il en est. Le 14 juin 2023, le Chef de l’Etat malien tweetait en effet ce qui suit :

Et avant sa prestation du 16 juin 2023 au Conseil de Sécurité de l’ONU, l’Ambassadeur Abdoulaye Diop, ministre malien des affaires étrangères, commentait sa réunion préparatoire avec le représentant de la Russie à l’ONU :

Au total, il est donc inconcevable que l’étude de l’Institut Royal Egmont ait voulu présenter les autorités maliennes actuelles comme des décideuses marginales et irresponsables qui se mettraient au ban du droit international en requérant le départ sans délai de la MINUSMA de leur sol. Ce départ est nécessaire car la MINUSMA ne combat pas le terrorisme. Ce départ est légitime car la MINUSMA, en participant à l’instrumentalisation des thèmes démocratique et humanitaire, est entre temps devenue partie de la déstabilisation quotidienne du Mali, directement ou indirectement. Ce départ est opportun car l’alignement géopolitique et géostratégique du Peuple Malien et de la majorité des Peuples Africains pour la vraie souveraineté du continent est une aspiration réelle, vitale et irrépressible, que tous les outils d’analyse scientifique fiable ne manquent point de relever. Il convient donc que le coup de pouce de la pseudo-science de l’Institut Royal Egmont aux puissances impérialistes occidentales opérant par la méthode « l’ordre par le chaos » soit dénoncé et démystifié, pour favoriser la naissance d’un monde réellement équitable, partagé, prospère et raisonnable pour toutes les générations humaines ce temps et des temps futurs. Cette critique sert cette espérance, car comme le rappelait à bon droit le philosophe Gaston Bachelard :

« La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation »[18]

Dr Franklin NYAMSI

Président de l’Institut de l’Afrique des Libertés/African Freedom Institute

franklin.nyamsi@gmail.com

20 juin 2023

 

[2] Idem, op.cit

[5] Philippe Martinat, op.cit

[8] Idem, op.cit.

[18] Gaston Bachelard, La Formation de l’Esprit Scientifique, Paris, Librairie philosophique Vrin, 1999 (1ère édition : 1938), chapitre 1er.