Des sanctions contre la Russie ou les États-Unis?

29.02.2016

Les sanctions internationales sont une émanation de pratiques de guerre. Elles ont certes fait l'objet d'un encadrement juridique notamment par la Charte des Nations Unies, mais la fréquence à laquelle elles sont réclamées et appliquées, depuis la fin de la bipolarisation, non seulement dans le cadre des Nations Unies mais par des organisations régionales ou des institutions dont le cadre juridique n'est pas bien défini à l'instar de l'Union européenne, démontre le dépassement du cadre juridique auquel elles devaient être astreintes.

Traditionnellement, avant le développement et l'institutionnalisation du droit international public avec la SDN puis l'ONU, les sanctions étaient pratiquées unilatéralement par des Etats lésés à l'encontre des Etats considérés par eux comme étant des Etats « agresseurs », sous forme de représailles ou de prise de mesures de rétorsion. Il s'agissait d'une forme de vengeance privée qui fut légitimée par le droit classique, dans la mesure où il n'existait pas d'autres moyens de faire respecter le droit.

Actes de guerre, les représailles sont théoriquement contraires au droit international bien qu'elles entendent constituer une réaction des Etats lésés face à un acte effectué par un ou de plusieurs Etats, considéré comme illicite.

Néanmoins, avec l'institutionnalisation du droit international public, ce dernier considéra que ces mesures, originellement illicites, pouvaient devenir licites si elle n'incluent pas le recours à la force, dans la mesure où elles combattent un acte illicite antérieur. Dans la même optique, les mesures de rétorsion (ou contre – mesures) étaient également considérées comme étant licites car elles ne comportent pas d'usage de la force et puisqu'elles répondent à des actes, aux – mêmes licites mais inamicaux, commis par l'Etat qu'elles visent.

Il a fallu attendre la création de la Société des Nations mais surtout l'Organisation des Nations Unies pour que ces méthodes soient catégoriquement proscrites et aboutir à des sanctions institutionnalisées.

Mais nous assistons, hélas, actuellement à une évolution de ce régime des sanctions, surtout depuis l'effondrement de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide. La recrudescence de ces mesures, depuis la chute du mur de Berlin,  démontre une dérive vers laquelle les sanctions tendent. Ces mesures sont devenues un moyen d’asphyxier certains Etats et ne cachent plus la volonté délibérée, de la part des Etats ou groupe d'Etats qui édictent ces mesures, de déstabiliser leurs adversaires (les Etats sanctionnés) dans un objectif purement politique.

Cette attitude nous conduit non seulement à critiquer le régime des sanctions internationales mais à les réprouver et à s'interroger sur leur fondement juridique.

En effet, la prérogative de prise de sanctions a été attribuée, depuis l'établissement de la Charte des Nations Unies, au Conseil de Sécurité de cette organisation. Or, la prise de décisions au sein du Conseil est l'otage du droit de veto exercé par les cinq membres permanents de cet organe. Par conséquent, l'adoption de résolutions, notamment celles qui décident de la prise de mesures de sanctions, est le fruit de tractations politiques entre ces cinq pays.
La prise de sanctions par l'intermédiaire du Conseil de sécurité des Nations Unies est donc devenue totalement désuète, soumise à l'opportunisme politique et la prédominance des Etats – Unis.

Qu'il me soit permis de rappeler à ce sujet les efforts de l'ancien Secrétaire général des Nations Unies, Feu Boutros Boutros-Ghali.

Soucieux de donner plus d'indépendance à cette organisation mondiale et la soustraire à l'hégémonie politique, notamment celle des Etats-Unis, ce qui l'avait empêché d'être re-élu Secrétaire général à la fin du mandat qu'il avait exercé à la tête de l'Organisation mondiale, Boutros-Ghali signala, dans son « Agenda pour la paix», que les mesures prévues par l'article 41 de la Charte ne doivent pas avoir pour objet de punir un Etat, mais de modifier un comportement d'une partie qui menace la paix et la sécurité internationales.

Il préconisa, avec insistance, de régler pacifiquement les différends, notamment par la saisine de la Cour Internationale de Justice, permettant de respecter d'une manière objective le principe de proportionnalité de la sanction à l'infraction. Il rappela aussi le caractère inhumain des sanctions en se référant, à l'époque, à celles prises à l'encontre de l'Irak où la population civile a été principalement victime de l'embargo global dont ce pays avait fait l'objet.

Dans cet ordre d'idées, nous nous interrogeons sur les sanctions édictées à l'encontre de la Russie tant par les Nations Unies que par l'Union européenne. Ces mesures revêtent la forme d'une véritable guerre économique qui s'ajoute à la guerre militaire à laquelle ce pays est affronté depuis la déstabilisation de l'Ukraine par des méthodes attribuées au « soft power » des Services américains. L'objectif de ces mesures semble d'affaiblir Moscou tant sur le plan militaire que politique, économique et diplomatique.

C'est la position de la Russie à l'égard de la Syrie et sa lutte contre le terrorisme stipendié par Washington et ses satellites, aussi bien dans ce pays que dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient, qui a été le déclencheur des mesures de sanctions édictées contre elle et non pas le fait qu'elle ait procédé à la récupération de la Crimée à l'instar de l'Alsace et la Lorraine par la France, en 1918.

Dans ce désordre voire cette dérive de la pratique des sanctions internationales, revêtant le caractère de représailles, ne peut-on pas s'interroger légitimement sur la nécessité de prise d'éventuelles mesures de sanctions à l'encontre des Etats qui ont contribué, directement ou indirectement, à la déstabilisations d'autres pays et régions du monde, en commettant un acte manifestement illicite, mettant en danger la paix et la sécurité internationales : en Irak, en Libye, en Syrie, en Ukraine, dans la plupart des pays arabes qui ont assisté à ce qu'on a voulu appeler « Printemps arabe », y compris dans les pays du Golfe arabo-persique ?

L'invasion américaine de l'Irak, avec des prétextes fallacieux, avait en effet pour objectif principal de conduire le Moyen-Orient vers le chaos et vers l'émergence de conflits inter, voire intra-communautaires qui se poursuivent en ce moment en Syrie qui a été victime à la fois d'une propagande mensongère et d'une déstabilisation militaire à travers l'aide et les entraînements que les alliés de Washington ont procuré aux « rebelles » dont une grande partie a formé l'organisation de l'Etat Islamique (ou Daech).

Poussé par l'OTAN et Monsieur Lévy, le pays légal français (sous Nicolas Sarkozy dont les liens avec les Etats-Unis et Israël ne sont pas à démontrer) a procédé à une action similaire en effritant les institutions libyennes. Cette situation a créé le chaos non seulement dans ces pays mais également sur le continent européen avec une vague migratoire dont seuls les autorités politiques sont responsables.