De Prométhée à Lucifer : une nouvelle russophobie militante en Ukraine
La russophobie est un sentiment partagé par une très grande partie du spectre politique en Occident, chacun se sentant le droit de haïr (ou détester obscurément) la Russie selon son propre point de vue idéologique : le libéral républicain vilipendera la mainmise du gouvernement sur de nombreux secteurs-clés de l’économie et s’en prendra au caractère « anti-atlantiste » de sa politique extérieure ; le socialiste critiquera la lenteur des avancées sociales (notamment par rapport au « droit des minorités sexuelles opprimées ») aussi bien que la sévérité dans la répression des Femen ; le communiste dénoncera la consolidation de l’Eglise orthodoxe ; le centriste et le démocrate-chrétien regretteront le caractère par trop radical et prétendument « anti-démocratique » du président Poutine ; le progressiste intransigeant aboiera contre la persistance des traditions culturelles et religieuses, etc. La palette des reproches continuellement exercés dans nos milieux politiques contre la Russie est d’une richesse indéfinie.
Il faut bien reconnaître, cependant, que les courants nationalistes (qu’ils soient « de droite » ou « de gauche ») étaient les seuls à ne pas verser dans la russophobie systématique, en partie grâce à des fondements politiques souvent méfiants (pour ne pas dire plus) vis-à-vis de la propagande atlantiste.
Cette exception a néanmoins bel et bien disparu, et ce précisément depuis l’avènement du conflit ukrainien. Parmi le faisceau de raisons qui ont poussé à la création et à l’intensification de celui-ci, on pourrait légitimement se demander si l’on ne pourrait pas y trouver le désir puissamment ancré chez certains de diviser les nationalismes européens, soit la dernière branche politique traditionnellement non- (voire anti-) atlantiste, afin de les affaiblir de manière durable et presque définitive.
Cette nouvelle russophobie en provenance des milieux nationalistes repose sur trois points importants. Le premier est d’obédience strictement politique ; c’est le facteur du conflit que l’on met toujours en avant – et à juste titre – pour analyser les grandes lignes de la guerre ukrainienne. J’aimerais mettre ici en lumière deux autres soubassements considérables de cette guerre, beaucoup moins visibles et pourtant d’une importance fondamentale : ce sont les aspects raciaux et religieux.
Kiev, 27 avril 2017 – Au centre : Olena Semenyaka, responsable du Département des relations internationales du Corps National
Le facteur politique est bien connu. Le 27 avril 2017 se tint à Kiev la deuxième conférence Intermarium, initiée par le député Andriy Bilestkyi, également membre du Conseil National de Sécurité et de défense d'Ukraine, et surtout fondateur et premier commandant du régiment Azov. Une conférence tout à fait officielle, donc, avec comme but principal le Développement de l'Union entre la mer Adriatique, la mer Baltique et la mer Noire.
Le concept d’Intermarium est ancien. L’idée de la création d’une confédération de pays au centre de l’Europe avait été développée après la première guerre mondiale par le Maréchal Pilsudski pour renforcer le rôle central de la Pologne dans le démembrement actif, à la fois de l’URSS et du Troisième Reich. Le projet s’appelait alors Prometeizm, et son contraire historique a bien sûr été la signature du Pacte Molotov-Ribbentrop, en lequel Jean Parvulesco décelait une « vision grand-continentale eurasiatique » de nature toute géopolitique, située au-delà de tout conflit idéologico-politique. Notons que c’est bien la figure titanesque de Prométhée qui avait été choisie par Pilsudski pour exalter les nationalismes des pays centre-européens, alors que celle du Christ aurait été tout à fait logique, surtout pour un Polonais lorsqu’il affiche son combat contre le bolchevisme. La référence à une figure pré-chrétienne pour mener une lutte, officiellement au nom d’un certain nationalisme européen, mais en réalité contre la création d’un « bloc continental Europe centrale – Eurasie – Japon » (pour reprendre le titre d’un texte de Karl Haushofer), et au bénéfice intégral des USA, sera reprise quatre-vingts ans plus tard par les militants ukrainiens anti-russes.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus pour ces derniers de massacrer délibérément les populations russophones d’Ukraine, et d’empêcher toute représentation politique de celles-ci dans leur propre pays. Cette partie du travail peut être considérée, selon leur propre point de vue, comme une étape presque bouclée, et il leur est maintenant nécessaire de passer à un plan supérieur : un plan continental. Il s’agit en effet de s’allier avec des nationalistes baltes, polonais, biélorusses et croates afin de créer « l’épicentre d'une intégration européenne alternative », frontalement opposée à la Russie puisque, selon l’expert du Groupe d'analyses “Rubicon” Oleksandr Maslak : « toute l'Europe centrale et orientale se retrouve sous le rayon d'action des missiles à courte portée Iskander ou à longue portée Kalibr déployés par la Fédération de Russie »…
L’inversion totale de la réalité concrètement vécue par tous les européens ne fait pas peur à ces militants, qui sont bien plus que militants puisque désormais membres à part entière de la Rada (le parlement ukrainien). Ainsi, on peut lire dans un autre texte du site Reconquista (« Today Ukraine, Tomorrow Rus’ and the whole Europe »), toujours traduit par l’inénarrable Pascal Lassalle, que « la Russie utilise le nationalisme européen comme un outil dans son combat géopolitique contre les Etats-Unis et l’Europe » (un million de sic !). Mais une vérité se glisse néanmoins dans ce discours alambiqué : « l’Union Européenne peut être vue comme un « mal nécessaire » pour les nationalistes ». L’atlantisme serait ainsi un « mal nécessaire » qui aidera les nationalistes ukrainiens à se débarrasser de « l’impérialisme russe ». Chacun devine qu’il sera ensuite pour eux d’une simplicité biblique de se débarrasser de « l’impérialisme américain ». Les instructeurs américains arrivés en masse dans le Donbass pour former et entraîner les soldats de Kiev repartiront très certainement un jour à Washington sans rien demander en échange… La troisième voie ukrainienne a vraiment de beaux jours devant elle…
Notons que, un mois exactement après la tenue de la conférence Intermarium à Kiev, se tint en République de Moldavie le colloque “De l’Atlantique au Pacifique : pour un destin commun des peuples eurasiatiques”, résultant en un Manifeste délivrant dix-sept propositions géopolitiques pour un monde résolument multipolaire. On y évoque également la nécessité de réaliser la « Grande Europe », mais dans une optique frontalement opposée à celle d’Intermarium.
La raison en est que les valeurs partagées par le groupe de Chișinău sont à la fois chrétiennes (catholiques et orthodoxes) et non-racialistes. Ces deux points constituent les deux soubassements de la guerre ukrainienne (en plus de l’aspect politique) que j’évoquais plus haut.
Car le conflit ukrainien repose bel et bien – entre autres – sur des bases raciales. De nombreuses discussions menées en 2010 et 2011 avec des traditionalistes ukrainiens, dont Olena Semenyaka et Andriy Voloshyn (qui devinrent plus tard responsables des relations internationales, la première au parti Corps National et le second à Svoboda), me montrèrent clairement que ceux-ci considéraient les Russes comme une race métèque, de faux Slaves mêlés de sang Tatar, une sous-peuplade asiatique sans aucun intérêt. Eux, ukrainiens, se proclament seuls véritables russes (la Rous’ de Kiev), opposés aux « Hordes asiatiques du Kremlin » (cf. interview de Semenyaka au Cercle Non Conforme).
Mais la raison la plus ignorée de cette nouvelle russophobie directement issue du conflit ukrainien, et se propageant aujourd’hui dans de nombreux milieux nationalistes européens, est véritablement d’ordre spirituel, et même métaphysique. Il s’agit de combattre le « messianisme russe » ainsi que le christianisme, religion accusée d’être ontologiquement anti-européenne de par ses origines sémites. C’est ainsi qu’au sein du plus important groupe russophobe de notre continent, c’est-à-dire le parlement ukrainien, se trouvent aujourd’hui des personnes appelant publiquement au retour du « satanisme », seule « religion » véritablement européenne selon elles. Au cours d’une interview du 7 janvier 2014 donnée au site internet musical Radix (aujourd’hui non-disponible), et titrée « When the Gods hear the call – The conservative-revolutionary potential of Black Metal Art», Olena Semenyaka – responsable, je le rappelle, des relations internationales au parti Corps National ! – déclarait que la musique Black Metal était le mouvement artistique européen le plus apte à illustrer les valeurs du « Aryan Luciferianism » et à faire revivre « the dark European past ». Elle affirmait que le christianisme est l’incarnation tangible du monde moderne, sa lutte consistant à le détruire en faisant revivre les Dieux par l’intermédiaire d’une nouvelle Révolution Conservatrice basée sur le Black Metal.
Cette vidéo montre les interventions de la conférence « Pact of Steel » (Pacte d’Acier), tenue à Kiev le 17 décembre 2016. Les personnes dubitatives quant à la montée en puissance d'un « eurasisme luciférien » seront sans doute intéressées de constater sa collusion désormais franche et ouverte avec le parti politique Azov. Voici quelques phrases importantes prononcées durant cette conférence, inaugurée par un concert du groupe metal russe anti-Poutine M8L8TH et terminée par un speech du militaire letton Agris Purvins.
Sviatoslav Vyshynsky : “Black Metal is the music of Iron Age. […] It is the music which praises decadence, which praises the dark legions of being, the music which praises evil in the broadest sense of this word” (5’08”). “We speak of the opening of the gates of Chaos” (6’47”). “This destruction of the classical music causes the effect of destruction of the classic human consciousness. This is the appealing to our chaotic demonic essence” (14’47”). « Black metal in its essence is titanic music, and in earlier primordial essence, is chthonic music” (18mn40s).
Olena Semenyaka : “I’m very grateful to all who came to our event, as well as to Black Metal musicians who supported the cause of Ukrainian nationalists” (45’).
Le chanteur de Dark Funeral, l’une des références musicales du parti parlementaire ukrainien Corps National
Le Prométhée de Pilsudski n’était en réalité que la préfiguration de Lucifer, nouvel étendard délibérément brandi par de nombreux nationalistes ukrainiens pour intensifier leur russophobie par l’intermédiaire d’un anti-christianisme aussi violent que déterminé.
Le Pacte d’Acier est annoncé comme ayant pour but d’établir des liens solides entre nationalistes de l’Europe de l’est et de l’ouest. En France, la collusion entre des groupes nationalistes pro-Azov et des milieux lucifériens a déjà débuté depuis un peu plus d’un an. Et nous en avons toutes les preuves.