Au Donbass les hommes continuent de mourir et l’occident ferme les yeux

31.05.2016

Lorsque Victoria Nuland, le sous-secrétaire d’Etat des Etats-Unis aux affaires européennes et eurasiatiques, a avoué que Washington avait déboursé plus de 5 milliards de dollars pour influencer la politique ukrainienne, elle ne devait pas se douter à quel point cette ingérence tournerait au fiasco. En effet depuis le 22 février 2014 et le coup d’Etat pro-Bruxellois à Kiev, l’Ukraine s’enfonce dans un vortex infernal où les oligarques sont toujours au pouvoir, la pauvreté et les dissensions politiques gangrènent le tissu social et le pays se disloque par lambeaux. Nos medias dominants occidentaux n’ont pas souligné les origines des participants du Mouvement Maïdan dont de nombreux cadres sont issus de mouvements clairement néo-nazis plus motivés par leur haine du Russe que par l’amour de l’Ukraine. C’est la prise du pouvoir par la force par ces personnes qui va mettre le feu aux poudres.

Suite au coup d’Etat en effet, la constitution ukrainienne devient de facto caduque et la population russophone ne se voit pas vivre sous la coupe d’un gouvernement autoproclamé dont de nombreux membres leur vouent une  haine viscérale contre les « Russes » tentent même d’interdire le russe comme langue officielle du pays. Dans les régions russophones la réaction ne se fera pas attendre. La Crimée déclenche le mouvement en premier en votant sa réunification à la Russie par référendum dès le mois de mars. Puis les habitants du Donbass (au sud-est du pays) votent leur autonomie en mai. Kiev ne fait rien en Crimée mais contre les habitants du Donbass elle envoie l’armée. La région du Donbass, habitée de quelques 4 millions d’habitants, s’est organisée en deux républiques sœurs : la République Populaire de Lougansk (LNR en russe) et la République Populaire de Donetsk (DNR en russe). Contre l’armée de Kiev les habitants du Donbass se regroupent en milices populaires. Depuis mai 2014 la guerre a dévasté le Donbass qui était une des régions les plus prospères de l’Ukraine. On décompte à ce jour plus de 9 000 morts, 21 000 blessés et un million de réfugiés essentiellement partis en Russie. Le silence médiatique général sur ce qui se passe au Donbass est quasiment aussi terrifiant que la guerre elle-même.

Dans le cadre du deuxième anniversaire de la DNR et pour commémorer la victoire de la grande guerre patriotique contre le nazisme en 1945 je fus invité par le Ministre des Affaires Etrangères de la DNR début mai pour participer aux différentes manifestations commémoratives et à une table ronde internationale sur la situation du Donbass. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Denis Pouchiline, le président du conseil du peuple de la DNR, et Alexandre Zakharchenko, héros de la guerre du Donbass et président de la DNR, sur la situation actuelle de la région et les conséquences de l’ingérence de Washington en Europe. Que cela soient les politiques ou les citoyens que je rencontrais, j’ai vu des personnes qui comprenaient parfaitement les véritables enjeux politiques de la situation et qui démontraient une détermination sans failles pour défendre leur cause. Kiev ne paye plus les retraites et bombarde les quartiers civils mais cela n’arrête pas les habitants du Donbass qui s’organisent, s’entraident et reconstruisent. Le gouvernement issu du putsch à Kiev et les conseillers spéciaux dépêchés par le prix Nobel de la paix Barack Obama sont consternés : là où ils devaient balayer les « sous-hommes»  du revers de la main en quelques jours, ils se rendent compte que la population du Donbass est opiniâtre et ne se laissera pas faire. Les accords de Minsk II, négociés en février 2015 entre l’Ukraine, la Russie, la France et l’Allemagne pour trouver une issue pacifique au conflit, sont loin d’être appliqués. Kiev est en retard sur ses engagements, les combats se poursuivent malgré la trêve officielle et la guerre peut repartir du jour au lendemain. Moscou, pour sa part, n’a pas intérêt à ce que le conflit se développe au grand dam des habitants du Donbass qui aimeraient bien voir l’armée russe à leurs côtés. Pour le Kremlin, même si cela aurait un sens historique, les risques sont trop importants d’être désigné par les Occidentaux comme un envahisseur et, de toutes manières, la situation d’échec actuelle de la stratégie atlantiste de Kiev n’est pas forcément pour lui déplaire. Pour la Maison Blanche et Kiev c’est le contraire, la situation est grave car leur projet perd chaque jour en crédibilité et, en dehors du Donbass, on commence à s’en rendre compte ailleurs en Ukraine.

C’est dans une telle situation délétère, que nous avons profité de notre présence sur place pour aller sur le front pour mener une mission humanitaire pour l’association française Vostok France – Solidarité Donbass (www.vostokfrance.org). On n’imagine pas à quel point la situation sur la ligne de front est apocalyptique. Les bombes continuent de tomber, il n’y a ni eau, ni électricité, les maisons et immeubles sont éventrés et on ne mange pas tous les jours. Ici nous avons distribué de la nourriture ainsi que des batteries de voiture neuves aux habitants pour qu’ils puissent créer de petits réseaux électriques et au moins éclairer les caves où ils se réfugient quand les bombes pleuvent. Ces personnes, humbles, simples et déterminées ne partiront jamais, comme elles le disent elles-mêmes : «Pourquoi partir ? Nous sommes chez nous. » Chrétiennes, elles sont très pieuses et confiantes comme si la guerre était une fatalité et la victoire une certitude. Elles sont en tout cas le grain de sable dans l’engrenage libéral préparé par Washington et Bruxelles qui étouffe l’Europe et, peut-être sans le savoir, elles se battent pour bien plus que juste le Donbass.