Entretien Lavrov-Tillerson : Washington n'exposera par sa vision – il n’en a aucune

Tillerson
12.04.2017

Le secrétaire d'État Rex Tillerson s’est rendu à Moscou en visite officielle le 11 avril. C'est sa première visite à la capitale russe en cette qualité ainsi que la première visite d'un représentant de l'administration de Donald Trump en Russie.

Ordre du jour

L'ordre du jour, se composera des problèmes-clés de relations russo-américaines: la Syrie, la Crimée, l'Ukraine, la parité nucléaire et antimissile, les sanctions, les relations avec l'Iran, la Corée du Nord. Pour les deux parties, c'est une occasion d’abattre ses cartes et d’échanger de leurs visions stratégiques de l'ordre mondial, ainsi que des plans pour résoudre des problèmes particuliers. Théoriquement, une telle discussion pourrait devenir le leitmotiv de la réunion. Ayant une idée plus ou moins claire de ce que chaque pays voit stratégiquement, la Russie et les États-Unis pourraient plus facilement élaborer une politique réciproque, en comprenant ce qu'ils peuvent attendre l’un de l’autre.

Problèmes de la stratégie globale

Le problème fondamental est que dans les deux pays, on ne dispose pas d'une vision stratégique de l'ordre mondial. En Russie, nous voyons un équilibre entre le cours vers un monde multipolaire et une tentative de s’intégrer dans un système hégémonique (à la fois dans le sens réaliste et celui d’Antonio Gramsci) - un réalisme périphérique. En même temps, le dernier pôle est affaibli en raison du fait que la force hégémonique - les États-Unis, avec l'arrivée de la nouvelle administration, n'offrait pas une stratégie holiste de la politique étrangère. Cependant, les positions des agents d'influence globalistes en Russie sont très fortes. Cela se prouve par le fait qu'à la veille de la visite de Tillerson, le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov a jugé bon d’intervenir sur le sujet des relations russo-américaines devant les membres du Conseil pour la politique étrangère et de défense, représentant de facto les intérêts du CFR en Russie.

Influence des néocons

Déjà dans les discours pré-électoraux et dans la sélection de l'équipe de politique étrangère de Trump, une combinaison de principes et de figures mutuellement exclusives - partisans de l'approche réaliste ensemble avec des néocons et des interventionnistes libéraux - était apparente. En ce qui concerne les compromis avec l'establishment républicain, le message anti-hégémoniste, réaliste et anti-mondialiste initial de Trump (Steven Miller étant le rédacteur de discours principal), la compréhension de l'Amérique comme un grand pouvoir, mais national, a été érodé. L'influence des néo-conservateurs a augmenté. Les structures du lobby israélien et personnellement le gendre de Trump Jared Kushner ont beaucoup contribué au processus, bien que certains des néocons (John Bolton, Walid Phares, Joe Schmitz) ont dès le début entouré le futur président américain, ayant des points communs avec M. Flynn et S. Bannon d’esprit anti-musulman et anti-iranien.

Le rôle de CFR

Dans le même temps, l'influence du Conseil des relations extérieures reste forte à la fois au sein du Deep State américain et dans l'équipe de Trump. Même pendant la campagne électorale, Trump a appelé le directeur de CFR, Richard N. Haas, une des personnes qu’il consulte dans les questions de la politique étrangère. L'influence de ce centre s'accroît parallèlement à l'influence des néo-conservateurs. En tant que membre du Conseil actuel de la sécurité nationale, Dina Powell, membre de la CFR qui avait travaillé dans l'administration de George W. Bush et avait dirigé la fondation Goldman Sachs, est devenue la principale adjointe du conseiller pour la sécurité nationale.

Toute une cohorte de personnes de cette banque devenue symbole du globalisme libéral qui a le statut de « fondateur » dans la structure du CFR, est entrée dans l'administration Trump. Il s'agit du ministre des Finances - Stephen Mnuchin (a également collaboré avec George Soros), Gary Cohn (président de Goldman Sachs) –  Conseiller principal en politique économique, responsable du Conseil économique national. Le ministre du Commerce Wilbur Ross, «le roi des faillites», a travaillé la plupart de sa vie pour un autre symbole du globalisme - les Rothschild.

Les positions des trois camps sur la Russie

Si les réalistes (Bannon et les personnes proches de lui, Tillerson) ne s'efforcent pas d'une confrontation grave avec la Russie et leur vision du monde converge avec celle des Russes, les représentants du CFR et les néocons sont déterminés à entrer en conflit . La différence entre les globalistes libéraux du CFR et les néocons est que ces derniers sont prêts à affronter la Chine, tandis que les premiers s'intéressent à la préservation du modèle de Chimerica en tant que noyau du processus de mondialisation et comprennent le danger de la guerre sur deux fronts. Ce modèle ne décrit certainement pas la complexité des relations entre ces trois camps. Bannon, par exemple, a commencé sa carrière chez Goldman Sachs et est lié au fondateur de l'infame Blackwaters Eric Prince, qui travaille maintenant avec la Chine, les néocons sont représentés dans le CFR, etc.

Pas de déclarations retentissantes

La plupart de l’entretien entre Lavrov et Tillerson se passera  à huis clos. En public, Tillerson, en tant que personne accusée de liens avec la Russie, ne fera de grandes déclarations. La partie russe agira avec précaution,  réalisant que Tillerson est venu sans une opinion consolidée du G7 ni objectifs à long terme de l'équipe Trump, donc tous les accords sont prématurés. Pour le moment, le gagnant dans la lutte des groupes d'influence n’est pas déterminé.