Chretiens d'Orient: la Russie remplace la France
A l’issue de l’émergence du christianisme dans le monde, les chrétiens se sont divisés en confessions, donnant naissance à des communautés qui ont surtout subsisté en Orient, grâce à la tolérance et la protection que leur ont accordées les musulmans notamment lorsqu’ils s’entretuaient, tandis qu’en Occident les communautés chrétiennes minoritaires étaient soient persécutées ou obligées d’adopter le rite majoritaire pratiqué par leur coreligionnaires (il ne s’agit pas de conversion proprement dite mais de changement de rite ou de confession).
Une mosaïque communautaire fut alors constituée en Orient avec une pléthore d’Eglises et de rites dont l’ensemble forme les « Chrétiens d’Orient » : Nestoriens, Grecs-orthodoxes, Melkites, Coptes, Arméniens, Syriaques, Jacobites, Chaldéens, Malabares, Malankares, etc… La plupart de ces Eglises sont divisées en deux branches : l’une orthodoxe et l’autre catholique. Ces dernières reconnaissent l’autorité juridictionnelle suprême du Pape, tout en restant dotées chacune d’un Patriarche.
Traditionnellement, les Chrétiens d’Orient reçurent la protection de la France, jadis Fille ainée de l’Eglise. Durant les Croisades, l’une de ces communautés – les Maronites, répartis alors entre la Syrie, le Liban et Chypre- combattît avec les Croisés. Aussitôt après leur victoire, ces derniers accordèrent aux Maronites leur protection, particulièrement celle de la France.
Ainsi, au XIIIème siècle, le roi Louis IX, à l'issue de sa victoire au pays du Cèdre, déclara « la nation maronite partie de la nation française », en adressant à cet effet un Firmin au Patriarche maronite, en 1250. Cette déclaration a été réitérée par les successeurs de Saint Louis, notamment d’une manière solennelle, le 28 avril 1649, par Louis XIV qui avait pris comme éducateur pour ses fils le maronite Abraham Ecchellensis.
Par ailleurs, sous l’Empire ottoman et dès le XVIème siècle, la France devint le protecteur des chrétiens étrangers vivant dans l’Empire mais aussi des pèlerins et des lieux saints chrétiens. Quant aux chrétiens ottomans, ils jouissaient de facto de la protection du Sultan : ils étaient sous sa dhimmitude . Autrement dit, il incombait à ce dernier, personnellement, de les protéger. Ils disposaient aussi d’un statut personnel garanti par la Sublime porte : celui de millet (nation ou ethnie), dirigée par le plus haut dignitaire religieux de chacune de ces communautés non-musulmanes. Néanmoins et par extension des Capitulations, la France demeura le garant de l’ensemble des chrétiens, rôle qu’elle partagea ensuite avec la Russie des Tsars.
Ainsi, en 1840 mais surtout lors des émeutes de 1860 provoquées par les Ottomans, Louis-Napoléon Bonaparte dépêcha une expédition en Syrie qui mit fin aux troubles et permit, en 1861, au Cheikh Eid Hatem, de confession maronite, de prendre le pouvoir au Mont – Liban. L’Emir algérien Abdelkader s’associa aux efforts de la France, à cette époque, et joua un rôle pour la protection des chrétiens.
Plus tard et lors de la dislocation de l’Empire ottoman à l’issue de la Première guerre mondiale, le Patriarche maronite, Mgr Hoayek, se rendit à la Conférence de Paris pour demander à la France la protection du pays du Cèdre. Aussitôt, cette dernière obtint un mandat auprès de la Société des Nations sur la Syrie et le Liban et restitua à ce dernier ses frontières, le 1er septembre 1920. Elle le dota d’institutions inspirées de la Constitution française de la IIIème République, en attribuant le pouvoir exécutif et la fonction de Chef de l’Etat aux chrétiens : Charles Debbas de confession grecque-orthodoxe devint Président de la République. A la fin de son mandat, le maronite Emile Eddé lui succéda. Sous ce dernier, le parlement libanais adopta, à l’unanimité, un traité franco-libanais scellant les relations séculaires franco-libanaises mais, pour la première fois, la France républicaine faillit à son devoir : ce texte n’a pas été ratifié par elle, sous le régime de Léon Blum.
Ensuite, à l’issue de la Seconde guerre, un conflit opposa les Gaullistes aux Vichistes et l’épuration a atteint ces derniers au Proche-Orient.
En 1943, l’indépendance du Liban fut proclamée et la France se retira de ce pays. Cependant, le Général De Gaulle n’hésita pas à sauvegarder le rôle de son pays au Proche-Orient, notamment au Liban qui constitue le noyau central des chrétiens d’Orient.
Sans partager nécessairement ses idées, il convient de rappeler sa position tant à l’égard du Liban que des pays arabes, exprimée par sa célèbre phrase qui créa une polémique en 1967 lors de la Guerre des Six Jours qui opposa les pays arabes à Israël : « les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem ».
Un an plus tard, quand Israël attaqua l’aéroport de Beyrouth, le Général De Gaulle décréta un embargo sur les armes à destination du pays hébreu, en refusant de livrer 50 Mirages qui avaient déjà été payés par les Israéliens.
Mais le rôle de la France a commencé à décroître sur la scène internationale depuis le Président Valéry Giscard d’Estaing, sous l’influence des groupes de pression internes et internationaux. La France était aussi contrainte de s’aligner sur les Etats-Unis durant une période cruciale de la « guerre froide ».
Ainsi donc, durant la guerre civile qui ravagea le Liban, à partir de 1975, la France ne disposait pas d’assez de liberté de manœuvre pour éviter la déstabilisation de ce pays. Paris essaya de maintenir des relations équidistantes avec les différents protagonistes, sans favoriser ses liens avec les chrétiens libanais. Il a fallu attendre François Mitterrand, pourtant élu sous la bannière socialiste, pour assister à un redressement de la politique étrangère de la France et de son ré-engagement envers les Chrétiens d’Orient.
Selon Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères sous François Mitterrand et proche ami de ce dernier, Mitterrand, d’esprit maurassien et influencé par Jacques Bainville, était attaché aux valeurs de l’amitié historique et naturelle de son pays, notamment avec les Chrétiens d’Orient. Son Premier ministre, Michel Rocard, n’hésita pas à le souligner dans une déclaration rappelant l’attachement « historique de la France au Liban, en particulier aux chrétiens de ce pays ».
Malgré son tact diplomatique par lequel François Mitterrand maintenait à la fois de bonnes relations avec Israël et les pays arabes, en laissant la tâche à Roland Dumas de procéder à cet équilibre notamment auprès des pays arabes, y compris le Liban et la Syrie (selon les confidences de ce dernier), la France paya cher son engagement et sa volonté de préservation de son rôle sur la scène internationale, notamment au Proche-Orient : assassinat de son ambassadeur, Louis Delamarre, attribué à la Syrie, à la fois pour geler les relations franco-syriennes et pour livrer un message fort aux Français afin de paralyser leur diplomatie active dans cette région du monde, prise d’otages de civils français, attaque terroriste contre l’unité française qui participait à la « Force multinationale de la paix au Liban ».
Paradoxalement, sous Jacques Chirac élu sous la bannière de la droite, et malgré son amitié personnelle avec l’ancien Premier ministre libanais, Rafiq Hariri, de confession musulmane sunnite, la politique de la France à l’égard des pays arabes y compris des Chrétiens d’Orient assista à une mutation. Sous la cohabitation, le Premier ministre de Jacques Chirac, Lionel Jospin, adopta des positions partiales pro-israéliennes quelques temps après le massacre de Cana, une ville du sud-Liban, commis par l’armée israélienne. Cet acte a été fermement condamné par les Nations – Unies, en particulier par l’ancien Secrétaire Général, Boutros Boutros-Ghali, malgré la pression que les Américains ont exercé sur lui, par l’intermédiaire de Madeleine Albright, afin de ne pas faire de déclaration écrite à ce sujet (selon ses propres confidences). La Secrétaire d’Etat américaine lui dit alors : « puisque c’est ainsi, ça sera votre dernière déclaration écrite en tant que Secrétaire Général des Nations – Unies ». Elle mena alors une campagne contre lui afin d’empêcher sa réélection.
Lionel Jospin attira contre lui l’antipathie aussi bien des Libanais que des Palestiniens qui lui réservèrent un mauvais accueil à l’université de Birzeit, en 2000, à l’issue de ses déclarations provocatrices.
Mais c’est sous Nicolas Sarkozy, atlantiste et pro-sioniste, que la rupture entre la France et les chrétiens d’Orient débuta. Elle devint définitive sous François Hollande, en raison des positions respectives de Laurent Fabius, ancien Ministre des affaires étrangères, et de Manuel Valls, Premier ministre.
En effet, la France adopte désormais des positions pro-sionistes (à droite comme à gauche) qui sont antinomiques avec ses engagements historiques auprès des Chrétiens d’Orient, même si certains politiques français exploitent la situation désastreuse que subissent ces derniers, pour étayer leurs discours par des slogans démagogiques. Ces discours sont en contradiction avec leur comportement réel de soutien aux forces qui provoquent cet état de déstabilisation du Proche et du Moyen-Orient.
En 2011, le Patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, en visite officielle en France, rencontra le Président Nicolas Sarkozy. Lors de cet entretien, ce dernier a tenu des propos reprenant le projet politique entrepris depuis des années à l’encontre des Chrétiens d’Orient : la transformation du Proche-Orient en région purement musulmane avec un îlot protégé par l’Occident (Israël) et, par conséquent, la nécessité pour les chrétiens d’emprunter le chemin de l’exil. Autrement dit une déportation déguisée. Cette attitude choqua alors le prélat maronite.
S’appuyant sur la théorie du « choc des civilisations » de Bernard Lewis, le Président français lui indiqua qu’il n’y a plus de place aux chrétiens au Moyen-Orient et qu’il serait préférable pour ces derniers d’émigrer vers l’Union européenne ; une déclaration qui rappela à Mgr Raï les propos de Henri Kissinger tenus au Président libanais Souleiman Frangié, dans les années soixante–dix, suggérant aux chrétiens libanais d’émigrer aux Etats-Unis et au Canada.
A l’issue de cet entretien qui s’est mal terminé (le Président Sarkozy ayant failli mettre fin à cette rencontre), la réaction du Patriarche maronite ne s’est pas longtemps faite attendre : aussitôt en sortant du Palais présidentiel, en s’adressant aux journalistes sur le perron de l’Elysée, ensuite à son retour au Liban où il affirma devoir entreprendre une action à l’échelle du monde arabe pour sauvegarder la présence chrétienne en Orient. Mgr Raï s’est alors vite concerté avec son homologue grec-orthodoxe, Mgr Hazim. Le Patriarche grec-orthodoxe, Mgr Laham, s’est aussi joint à cette initiative.
La rupture entre la France, pays légal, et les Chrétiens d’Orient s’est également affirmée par ses prises de position à l’encontre de la Syrie et sa participation à la déstabilisation de ce pays, sous commande atlantiste comme elle l’avait fait contre la Lybie. Les chrétiens syriens ont déchanté. L’ensemble de leurs dignitaires religieux, ne comprenant pas cette attitude, exprimèrent ce sentiment auprès des autorités françaises. Mère Agnès de la Croix, de confession melkite (grecque catholique), était la première à s’insurger contre la déclaration de Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, qui louait le Front Al-Nosra (branche d’Al-Qaïda en Syrie) en déclarant qu’il « faisait du bon boulot en Syrie », alors que ce groupe militaire commettait les pires atrocités, aussi bien à l’encontre des musulmans que des chrétiens : tortures, massacres, déportations, etc…
Convaincus par la convergence des intérêts d’Israël avec ceux des groupes islamistes, les communautés chrétiennes du Proche et du Moyen – Orient se sentent délaissées par leur protecteur originel, la France, qui privilégie ses nouvelles relations avec l’Etat hébreux à ses engagements historiques auprès des Chrétiens d’Orient. En effet, l’un des slogans de Daech est la « fin de Sykes-Picot » et donc le nouveau partage du Proche-Orient en Etats confessionnels à l’instar de l’Etat hébreu que Daech appelle à épargner : dans l’un de ses messages sur son compte officiel Twitter, il n’a pas hésité à souligner que « le Coran ne mentionne pas qu’il faut s’attaquer à Israël». Par ailleurs, certains des combattants de ce groupe sont pris en charge et soignés dans les hôpitaux israéliens.
Après avoir perdu l’espoir en l’Occident déchristianisé et manipulé par les médias, les chrétiens d’Orient aperçurent une lueur d’espoir orientale venant à leur secours, grâce à l’intervention russe en Syrie.
Préalablement à cette intervention et paradoxalement, les communautés chrétiennes ont été protégées par les combattants musulmans du Hezbollah qui avaient réussi à atténuer la nuisance de Daech (dont la création par les services secrets américains n’est plus un secret de polichinelle, avouée par Hilary Clinton même et dénoncée par le candidat américains aux élections, Donald Trump), en faisant éviter le risque de le voir s'attaquer au Liban, comme l'a souligné le Patriarche maronite : « Si les chrétiens étaient interrogés aujourd'hui sur leur avis au sujet des développements, ils répondraient tous que sans le Hezbollah, l'Etat islamique serait à Jounieh » (Jounieh est une ville fief des maronites).
Après des décennies de dictature athéiste et communiste, la Russie a retrouvé son identité chrétienne. Elle a aussi renoué avec ses engagements historiques de protéger, non seulement les orthodoxes, mais aussi les autres communautés chrétiennes, comme elle le faisait sous l’empire ottoman. Jouissant d’une réelle souveraineté et d’une indépendance politique et diplomatique, elle ouvre de nouvelles perspectives géopolitiques en entravant les projets de dislocation des entités nationales. Ses positions dérangeantes lui ont valu de multiples attaques de la part de ses détracteurs. Mais elle se redresse d’une manière vertigineuse et s’érige en défenseur du « monde libre ».