Terrorisme : les propositions chocs de la commission Fenech

Mardi, 5 juillet, 2016 - 10:00

Pour éviter un nouveau 13 novembre, le président de la Commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015 propose une révolution dans les structures spécialisées.

«Devant le Bataclan, le 13 novembre, les policiers de la BAC, arrivés les premiers, voulaient au moins que les militaires de l'opération Sentinelle, arrivés sur place, leur prêtent leurs fusils d'assaut Famas, puisque les militaires n'avaient pas le droit de tirer. Et ils ont essuyé un refus!» Le député Les républicains Georges Fenech, président de la Commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015 en France, ne décolère pas contre les «aberrations» mises à jour au fil de ses cinq mois d'auditions. Voici ce qu'il propose, avec le rapporteur socialiste Sébastien Pietrasanta pour éviter de telles «tragédies». Des conclusions qui seront soumises au vote de la commission ce mardi:

Clarifier le rôle des forces d'intervention

«J'ai néanmoins eu le sentiment de subir cette opération bien qu'il n'y ait pas eu de dégâts collatéraux. De fait, quelque chose ne va pas lorsqu'un groupe spécialisé de compétence nationale se met à la disposition d'un groupe non spécialisé de compétence locale». La Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de Paris appréciera. Relent de «guerre des polices»? Georges Fenech a choisi, pour sa part, de dire les choses, ici «à titre personnel», insiste-t-il . Il remarque que, contrairement à ce qui fut décidé lors de l'attaque contre l'hyper-cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015, nul n'a déclenché la Force d'intervention de la police nationale (FIPN). Ni le ministre de l'Intérieur ni le directeur général de la police nationale. «Une telle décision aurait eu pour effet de confier au RAID et non à la BRI de Paris la conduite des opérations», rappelle-t-il. «Pourquoi l'Antigang a-t-elle géré la direction des opérations alors que nous avons deux forces d'élite spécialisées: le RAID qui, ce soir-là, n'a été que force d'appoint et le GIGN, qui est resté cantonné Quai des Célestins?», regrette Georges Fenech. Lui milite pour un «commandement unifié en cas d'intervention de nos trois forces d'intervention». Le 16 octobre 2015, un mois avant le Bataclan, Bernard Cazeneuve, parti du même constat, avait demandé à ce que soit revu le schéma d'intervention. Trop tard. Le ministre fait sienne aujourd'hui cette stratégie, sans se risquer à reconnaître un problème le soir du Bataclan…

Renforcer le rôle de la DGSI

«Nous ne mettons pas en cause les hommes mais les organisations, prévient d'emblée Georges Fenech. Mais est-il normal que le travail de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) s'arrête à la frontière parisienne?» Il cite le cas de Saïd Kouachi, l'un des tueurs de Charlie Hebdo, dont la surveillance a connu des ruptures entre les services de la préfecture de police de Paris et la DGSI. «Ce n'est pas acceptable. Il faut transférer les compétences de la Direction parisienne du Renseignement à la DGSI», tranche-t-il.
Unifier les services territoriaux

Ce même souci de simplification dicte la proposition de fusionner le nouveau Service central de renseignement territorial (SCRT, hérité des RG) et son équivalent chez les gendarmes, la Sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO). Se créerait alors une Direction générale du Renseignement territorial (DGRT), rattachée directement au ministre de l'Intérieur. Dans une optique assez proche, la commission Fenech-Pietrasanta propose de fusionner l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) créé par Bernard Cazeneuve au sein même de son cabinet et l'Unité de coordination et de lutte antiterroriste (UCLAT) de la direction générale de la police.

Instaurer une vraie coordination au sommet

«Nous avons pu constater, lors de nos déplacements à l'étranger, qu'aucun responsable des services israélien, grec, turc ou américain, n'était capable de désigner clairement leur homologue chargé de l'antiterrorisme en France», déplore Georges Fenech. «Je partage entièrement la proposition de créer une Agence nationale de lutte contre le terrorisme», dit-il. Elle serait «directement rattachée au chef de l'État qui disposerait d'une base de données commune à l'ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste». Un peu «sur le modèle américain du Tide (Terrorist Identities Datamart Environment)». À terme, le coordinateur national deviendrait le «Directeur national du renseignement avec capacité d'arbitrage budgétaire entre différents services».

Réveiller le Renseignement pénitentiaire

«À l'occasion des débats législatifs, il est apparu un net clivage entre les parlementaires (y compris de la majorité) et la ministre de la Justice de l'époque, Christiane Taubira», avoue Georges Fenech. Résultat: le Renseignement pénitentiaire a végété. Depuis le gouvernement Valls a doté les agents des prisons de moyens et de droits nouveaux. Mais «c'est l'échec», selon le député. Selon lui, lors de son audition, le nouveau garde des Sceaux, a précisé que «depuis sa nomination place Vendôme, il n'avait été destinataire d'aucun élément portant sur le renseignement pénitentiaire et ce malgré un effectif de 380 personnes désormais rattachées» à cette mission. Il est urgent de motiver les troupes.

Muscler les secours et redéfinir Sentinelle

Le rapport propose la création de «colonnes d'extraction des victimes en zone d'exclusion composées de secouristes intervenant sous la protection des forces d'intervention». Autrement dit des sections hybrides bénéficiant d'équipements de protection et permettant d'intervenir alors même que le périmètre de sécurité n'est pas levé. Il est également proposé de former les équipes de secours et médicales à «la médecine de guerre et aux techniques de damage control». «Nous savons qu'en cas d'attaque à l'arme lourde, la majorité des décès se produisent dans l'heure suivant l'attaque», rappelle Georges Fenech. Depuis le Bataclan, deux exercices ont eu lieu. «Nous regrettons beaucoup que ces structures n'aient pas été mises en place après les attentats de Charlie Hebdo», affirme le député. Dans ses préconisations, on relève aussi le désir de réduire le format de l'opération Sentinelle, dont les soldats devaient être munis d'armes de poing. En contrepartie, 2.000 policiers et gendarmes seraient recrutés pour muscler le plan Vigipirate.

Augmenter les effectifs de magistrats

Le rapport reste très en retrait sur le régime carcéral des détenus pour terrorisme. À peine est-il prévu «d'exclure les personnes condamnées pour des actes terroristes du bénéfice du crédit de réduction de peine» automatique. Compte tenu des ratés judiciaires il est aussi proposé de «renforcer les modalités de contrôle» des contrôles judiciaires des personnes mises en examen pour des infractions à caractère terroriste. En revanche tenant compte de l'inflation d'un contentieux qui devient de plus en plus important, il est préconisé de «mettre en œuvre un plan de recrutement dédié aux juridictions spécialisées».

Georges Fenech voit plus loin et défend notamment la possibilité de «mettre en place une rétention administrative limitée dans le temps, une assignation à résidence ou a minima un bracelet électronique. Ce n'est pas avec des centres de déradicalisation fondés sur le volontarisme que l'on mettra ces individus hors d'état de nuire», affirme le député qui soutient la proposition de loi de Guillaume Larrivé et Éric Ciotti sur le sujet.

Source : Le Figaro