Migrations, Sandouno (Urgences Panafricanistes) : « Italiens et Africains doivent lutter ensemble contre le mondialisme »

03.10.2023

Les principaux médias ont recommencé à parler de manière bilieuse et urgente du phénomène migratoire, tandis que L'Antidiplomatico a choisi d'interviewer Farafin Sâa François Sandouno, un très jeune, tenace et brillant représentant du panafricanisme du XXIe siècle et du multipolarisme, Coordinateur de la section Italie de l'ONG Urgences Panafricanistes fondée par le militant Kemi Seba en 2015, Collaborateur de NOFI, le premier journal sur la culture africaine.

Sandouno se définit comme « un Africain né en Italie ». Parce que l’idéologie mondialiste voudrait que nous soyons plats et sans histoire, oubliant toute complexité, alors que l’être humain est complexe, multiforme de lieux et de mémoires. Nous l'avons interviewé pour donner aux lecteurs une analyse plus lucide du phénomène migratoire, entre hystérie d'invasion et bien-pensance qui ne fait que causer des dommages à la population africaine et aussi à la population italienne, déclenchant une guerre entre les pauvres favorable uniquement à l'élite.

L'INTERVIEW

Sandouno, qu’est-ce que le panafricanisme et en quoi représente-t-il une vision dans l’air du temps ?

Le panafricanisme est une idéologie révolutionnaire née au XXe siècle, qui aspire à l'union des différentes formes d'africanités et qui a toujours lutté pour l'objectif de souveraineté continentale. Parmi les précurseurs, nous trouvons Kwame Nkrumah, qui devint plus tard président du Ghana, en passant par Jomo Kenyatta et de nombreux autres théoriciens et représentants importants tels que Marcus Garvey, Patrice Lumumba, Thomas Sankara (des noms très importants qui ont inspiré le mouvement panafricain) jusqu'à Kadhafi. À l’époque où il est apparu, le monde était dominé et divisé par deux modèles économiques et civilisationnels : le communisme à l’Est et l’atlantisme capitaliste à l’ouest.Le panafricanisme a joué un rôle important lors de la décolonisation des années 1960. En effet, dans cette période historique, il a trouvé des affinités avec le communisme contre l'exploitation des travailleurs, contre la discrimination raciale et des prolétaires dans le monde entier, dans une perspective anti-impérialiste et anti-colonialiste. Cependant, le communisme a été vaincu dans les années 1990 et le capitalisme s’est transformé en un mondialisme néolibéral sur les plans économique et culturel. Le panafricanisme se trouve donc aujourd’hui confronté au libéralisme et au mondialisme, c’est-à-dire à l’unipolarisme occidental. C’est pourquoi le panafricanisme souhaite aujourd’hui s’aligner sur les puissances émergentes des BRICS dans une perspective multipolaire. Quant à la conception de l’Afrique elle-même, elle reconnaît et valorise les différences culturelles et religieuses entre les États africains : elle ne veut certainement pas d’uniformité entre les États africains, sinon nous serions confrontés à une mondialisation déguisée. Un citoyen de Guinée et un éthiopien, par exemple, ont des caractéristiques et particularités historiques et sociales différentes et le panafricanisme les revendique, tout en espérant une synergie pour un objectif commun, à savoir la souveraineté africaine face au néocolonialisme et à l’exploitation occidentale.

Le haut représentant pour les Affaires étrangères européennes Josep Borrell affirme que la question migratoire pourrait représenter « une force de division pour l’Union européenne ». Les dirigeants européens se rejettent mutuellement la responsabilité du manque d’accueil – en aval – alors que chacun porte la responsabilité des politiques qui poussent la migration en amont. Bref, peut-on dire que devant les caméras ils font semblant de ne pas être d’accord sur « combien de migrants accueillir » mais sont-ils tous d’accord sur le fait que l’immigration est le coût d’un business indispensable ?

Oui, le phénomène migratoire est un fait complexe et multifactoriel et le traîner d’un bord à l’autre de la propagande est une stratégie pour empêcher les différentes populations d’Europe de comprendre la racine du problème, à savoir le pillage du continent africain. Les oligarques européens opèrent dans une endogamie incestueuse avec de nombreux dirigeants africains. Je pense que les différentes chancelleries européennes devraient arrêter de se rejeter la faute les unes sur les autres, car dans leur rôle elles sont toutes responsables de l’exode africain, avec la complicité coupable des oligarques africains. Il faut se concentrer sur les causes et arrêter de se perdre dans les conséquences, arrêter de s’attarder sur l’accueil, ou sur la rhétorique de « aidons-les chez eux ». La seule solution est de laisser l’Afrique libre d’affirmer sa souveraineté, qui va de la jouissance de ses propres ressources (surtout souterraines) à l’autodétermination politique et culturelle.

Le djihaïdisme est aussi un fruit « pourri » du néocolonialisme. Et il est à la fois cause et conséquence de troubles socio-politiques, dans un cercle vicieux bien construit.

À travers l’assassinat de feu Kadhafi et la déstabilisation de la Libye, des groupes armés idéologiques du fondamentalisme islamique ont été fomentés, dans le but de créer le chaos dans nos pays. Ce contrôle du Nord du monde sur l’Afrique passe aussi par la cooptation de nos élites, coupables d’un très sérieux collaborationnisme, et souvent d’une indifférence criminelle face à cette hémorragie de personnes qui finissent par mourir en mer ou victimes de gangmastering. L’Afrique souffre d’une perte de valeur humaine, de personnes qui sont des intelligences, des travailleurs, des professionnels. Le contrôle du Nord du monde sur l’Afrique se réalise donc avec un appareil militaire, à travers des bases militaires notamment françaises, mais aussi économique et financier avec la monnaie, notamment le franc CFA (monnaie qui en 1945 était l’acronyme de « Colonies françaises d’Afrique »). En contrôlant l’Afrique, les dirigeants européens et en partie les États-Unis contrôlent l’opinion publique italienne et européenne, en contrôlant la polarisation idéologique entre ports ouverts et ports fermés.

Il est très difficile dans notre pays de parler avec ceux qui accusent ceux qui tentent de tenir ce type de discours de racisme ou de manque de sensibilité et de démasquer ce qui est à tous égards une forme d’esclavage moderne. Ce qu’il faut faire?

La réponse a été donnée par le grand philosophe italien Antonio Gramsci : l’hégémonie culturelle. Une minorité invisible et puissante en termes de capacité médiatique oriente la pensée de la population. Nous devons œuvrer pour une contre-hégémonie culturelle, pour mettre fin à la lobotomisation de la pensée unique. Il y a des journaux, des mouvements et des partis qui travaillent dur pour y parvenir, mais ils doivent trouver le moyen de se faire entendre des citoyens.

Ils nous disent que nous devons « aider l’Afrique » alors que nous devrions simplement laisser cette terre immense et riche à son peuple, libre de s’autodéterminer. Nous devons penser dans une perspective contraire à ce qu’ils nous disent : c’est la souveraineté africaine qui garantit aussi la souveraineté des États nationaux européens.

Certes, la souveraineté des autres États dépend aussi de la souveraineté du continent africain car il est le plus asphyxié, le plus gêné, le plus opprimé et c'est justement ici que l'oligarchie mondialiste a le plus de pouvoir. Et si ce continent parvient à se libérer de l’oligarchie américaine et mondialiste, qui étouffe également l’Europe, cela pourrait également signifier la libération des nations européennes. Le mondialisme n'est pas seulement une menace pour l'Afrique, il attaque l'identité collective au niveau de la spiritualité ; le dogme est de ne croire qu'à l'argent, comme à une daneistocrazia dont parlait Ezra Pound (fondement du pouvoir sur la possibilité de prêter de l'argent) ; au niveau familial, cette idéologie promeut une vision malmenée de celle-ci, parce que la force de la communauté sociale naît de la famille ; du point de vue de l’amour de la patrie, cela incite à la nomadisation, à nous rendre tous apatrides et sans ancrage identitaire. On peut naître n'importe où, mais en préservant la matrice civilisationnelle : l'attaque mondialiste et sa guerre qui fait rage aujourd'hui n'est pas entre les peuples, mais pour leur disparition : c'est pourquoi l'objectif doit être d'amener tous les peuples, africains comme italiens, à être des bastions de résistance au mondialisme.

Par Giulia Bertotto pour l’AntiDiplomatico

Source : https://www.lantidiplomatico.it