Mars et Vénus les deux pôles du monde européen - Entretien avec Clotilde Venner

16.05.2024
Robert Steuckers réinterroge Clotilde Venner, veuve de l'activiste politique et historien Dominique Venner, l'une des figures les plus importantes et les plus influentes de la Nouvelle Droite française et européenne.

Robert Steuckers: Dominique Venner a acquis la réputation d'être un écrivain et un historien méditatif pour reprendre son expression, fasciné par la guerre, le combat politique et la chasse. Quelles définitions donnait-il de tout cela ? Et, selon lui, à votre avis, qu'apportent la guerre,  la chasse et le combat politique à l'homme d'exception? Quelle épaisseur lui donnent ces phénomènes ?

Clotilde Venner: Dominique a connu en effet l’expérience de la guerre à l’époque de la guerre d’Algérie, il le raconte très bien dans Le Cœur Rebelle. Comme je le dis souvent, Dominique a eu trois vies qui toutes d’une certaine manière ont été sous le signe du combat: le combat militaire et politique dans sa première vie, le monde des armes et de la chasse dans sa seconde vie; après l’arrêt de la politique, il s’est en effet consacré à l’écriture de livres sur l’histoire des armes, et il écrivait également dans de nombreuses revues de chasse. Sa troisième vie fut consacrée à son œuvre d’historien. Il a publié des ouvrages comme Baltikum, les Blancs et les Rouges, Le Blanc Soleil des vaincus, Le Siècle de 14. La question de la guerre et du combat politique sont en effet omniprésentes dans son œuvre d’historien.

On peut dire que dans sa jeunesse, il a certainement éprouvé une fascination quasi romantique pour la guerre, pour l’aventure, pour la vie intense qu’elle procure. Mais après l’expérience de la guerre d’Algérie, son état d’esprit a profondément changé. Il n’avait pas de mots assez durs sur les officiers de l’armée française, il conspuait leur lâcheté et leur conformisme politique. Pour revenir sur la question de la guerre, c’est un sujet sur lequel il revenait souvent mais sur un plan quasiment métaphysique. Dominique n’était pas un furieux belliciste, il y a des pages poignantes dans Le Siècle de 14 sur les massacres de la grande guerre. Il comprenait parfaitement le mouvement pacifiste qui avait fait suite aux horreurs de la première guerre mondiale. Toutefois, il me disait que l’une des causes de la décadence européenne ( disparition de la masculinité,  la lâcheté et l’hédonisme généralisés) était que l’horizon de la guerre avait disparu. Une trop longue paix peut avoir un effet émollient sur les esprits et les corps, il écrit  ainsi dans Le Choc de l’histoire, livre d’entretiens que nous avons réalisé ensemble :

« Je percevais aussi qu’il est tonique pour une nation de conserver à ses frontières le défi d’un « désert des Tartares » pour se maintenir alerte et en forme « comme un taon au flanc de Rome » suivant le mot de Scipion parlant de Carthage. »

Dominique ne souhaitait pas la guerre, mais il pensait qu’il est nécessaire de se préparer à la guerre comme le préconisaient les Romains, « Si vis pacem, para bellum » pour des raisons évidentes de sécurité mais aussi pour des raisons morales et psychologiques. C’est dans le combat et la préparation au combat que l’homme se dépasse et grandit. Quand un peuple est en guerre ou s’il se prépare à la guerre, il se prémunit d’une forme de décadence. C’est dans les sociétés en paix que des débats sur le transgenrisme peuvent avoir lieu. Ce sont des luxes décadents que ne se permettent pas des nations menacées dans leurs intérêts vitaux.

Dans Le Choc de l’histoire, il évoque une autre manière de cultiver l’esprit guerrier, c’est la pratique des sports à risques comme l’alpinisme, le parachutisme, la plongée sous-marine, la chasse; ces disciplines sportives permettent de développer des qualités de courage que les temps de paix ne favorisent pas : « le besoin de dépaysement, la nostalgie du grand large sont d’autant plus impérieux que l’on vit dans un monde hyper-réglementé, encadré, sécurisé(…) Peut-être aussi est-il nécessaire de se prouver que l’on est peut-être autre chose qu’un bon médecin, un manager heureux, un négociant prospère ou un étudiant plein d’avenir…. Bref, on éprouve l’envie de prendre sa vraie mesure, de se coltiner avec sa propre carcasse, de la soumettre à d’autres épreuves que celles des repas d’affaires et des dîners en ville. »

RS : Malgré l’image virile accolée à son œuvre, la féminité occupe une place importante dans l'imaginaire de Dominique Venner: que pouvez-vous nous dire sur le rôle des femmes. Quelle place accordait-il à la féminité ?

CV : Dominique était un disciple d’Héraclite, pour lui l’harmonie naît des contraires, donc du masculin et du féminin. « Dans le grand mystère de la vie, peut-on ignorer la division en deux sexes ? Il en est pour la floraison  du monde végétal comme pour celle du monde animal dont les hommes procèdent. C’est ce qu’a dit voici longtemps la Théogonie d’Hésiode et que posa en ses principes Héraclite : « La Nature aime les contraires. C’est avec eux et non avec les semblables qu’elle produit l’harmonie. » (Le Choc de l’histoire).

On pourrait avoir une vision erronée de sa pensée en l’associant à celles des masculinistes. Ce serait une erreur. Pour répondre de manière imagée, Mars et Vénus ont autant d’importance dans des registres différents l’un de l’autre. Il n’y a pas un dieu qui est supérieur à l’autre, ou en d’autres termes, les valeurs masculines ne sont pas supérieures ou plus importantes que les valeurs féminines. Une communauté exclusivement dominée par les valeurs masculines sombre dans la brutalité et la barbarie et une société exclusivement dominée par des valeurs féminines se délite dans une faiblesse généralisée qui peut amener à son autodestruction. C’est ce que l’on peut voir dans nos sociétés actuelles dominées par « le care, la compassion, la compréhension ». Dominique note de nouveau dans Le Choc de l’histoire :

« La vie en société repose sur la polarité du masculin et du féminin. Si la part combative relève plus du masculin, une part essentielle de la survie du groupe, de sa perpétuation et de son harmonie relève du féminin. Quand les mâles combattent, travaillent et protègent, les femmes maintiennent, transmettent, reconstruisent et apaisent. »

Il est important de préciser que Dominique s’est penché sur la question du rôle des femmes plutôt à la fin de sa vie. Il consacre de nombreux chapitres à des femmes d’exception dans Histoire et Traditions des Européens, il dresse ainsi des portraits magnifiques de Yolande d’Aragon, Charlotte Corday. Dans La Nouvelle Revue d’histoire, la revue historique qu’il dirigeait, il y avait régulièrement des portraits de grandes figures féminines. On pourrait s’interroger sur cet intérêt tardif. La réponse est simple, ce sont les femmes qui transmettent et qui éduquent. Leur rôle est considérable dans la transmission d’une mémoire, d’une identité. Sans elles, il n’y a pas de tradition vivante. Ce sont dans les gestes de la vie quotidienne que cette mémoire s’incarne. L’histoire des diasporas montre bien le rôle des femmes dans la transmission de la religion et des croyances. A travers la nourriture qu’elles préparent, à travers les souvenirs qu’elles transmettent, à travers une certaine manière de se comporter, c’est toute une identité qu’elles véhiculent. Les habitudes de la vie quotidienne ont une force bien plus grande que tous les grands discours idéologiques. C’est dans l’exemplarité que la transmission de la tradition s’effectue.

Dans Le Choc de l’histoire, il évoque  également le courage des femmes dans la guerre. Il illustre sa réflexion en brossant le portrait de Scarlett et de Mélanie, les deux héroïnes féminines d’Autant en emporte le vent.

Dans Le Samouraï d’Occident, il dresse un portrait magnifique d’une jeune journaliste allemande qui survécut dans le Berlin de 1945, cette dernière avait tenu un journal paru en 2003 sous le titre Une femme à Berlin. A travers l’évocation de ces figures féminines imaginaires ou réelles, Dominique nous montre ce qu’est le courage féminin. Dans les périodes de guerre, de conflits, le courage des hommes consiste à accepter l’horizon de la mort ; en d’autres termes on demande aux hommes d’avoir le courage de mourir alors qu’on demande aux femmes d’avoir le courage de vivre. Et vivre dans un univers détruit demande un immense héroïsme, vertu qu’a eue cette jeune femme allemande. Quand on évoque la guerre de 14-18, on pense à tous ces hommes morts au combat, on admire leur courage, leur sacrifice à juste titre, mais il ne faut pas oublier l’héroïsme des femmes qui toutes seules tenaient leur famille, l’économie à bout de bras et qui ont permis la renaissance du pays après la guerre.

Dans notre époque de déconstruction  des genres, il est important de rappeler l’altérité du masculin et du féminin. Mars n’est pas Vénus, et Vénus n’est pas Mars, mais tous les deux ont autant d’importance. Dans toute son œuvre Dominique donne à voir à travers les portraits d’hommes et de femmes qu’ils dressent, des exemples de virilité et de féminité dont nous pouvons nous inspirer pour traverser les temps troublés et obscurs qui sont les nôtres.

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Clotilde Venner, épouse de Dominique Venner, fut également sa collaboratrice à La Nouvelle Revue d’Histoire. Elle a notamment participé avec lui au livre d’entretien Le choc de l’histoire (Via Romana). Elle vient de publier A la rencontre d’un cœur rebelle (La Nouvelle Librairie) qui est un témoignage sur l’œuvre et le parcours de Dominique Venner.

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