L’ALLIANCE DES ETATS DU SAHEL TRANSFORME LA GEOPOLITIQUE OUEST-AFRICAINE

12.01.2024

1ère Partie

Le Problème Politique Africain Révisité

L’Afrique du 21ème siècle vit une période exceptionnelle[1]. Une véritable inversion de la table des valeurs de civilisation imposées par la triple barbarie terroriste négrière, colonialiste et impérialiste, sources inspiratrices du despotisme africain, est à l’œuvre. En transformant par dizaines de millions, les enfants, femmes et hommes négro-africains en otages marchandables de l’accumulation primordiale des grandes puissances occidentales et orientales, dès le 16ème siècle ; en envahissant, capturant, déportant, pillant les sociétés africaines durant la grande opération terroriste coloniale des 19ème -20ème siècles, à peine la Traite des Noirs abolie ; en imposant par la ruse, la violence, le mensonge, une domination néocoloniale et impérialiste, relayées par une kyrielle de dictatures abjectes sur les populations négro-africaines assommées par les terreurs négrières et colonialistes précédentes, les puissances coupables de la triple Terreur négrière-colonialiste-impérialiste contre les Africains ont imposé leur table de valeurs de civilisation dans la foulée.

Dans cette logique née d’un impitoyable rapport de forces, pour être humain à part entière, il fallait globalement ressembler à l’Occidental ou à l’Oriental, et à défaut de devenir Occidental ou Oriental, l’Africain était sommé de s’efforcer d’être comme lui, de s’accrocher à la quête d’une ressemblance qui ne serait jamais parfaite. Ainsi, l’Occidentalisation et l’Orientalisation de l’Afrique, comme l’ont si bien compris Franz Fanon[2], Albert Memmi[3] ou Edward Saïd[4], étaient condamnées à l’échec. L’assimilation, la naturalisation, l’intégration des Africains dans le monde occidental, ainsi piégées par la non-reconnaissance des crimes contre l’Humanité et des multiples crimes de guerre commis contre des millions d’Africains par les négriers, les colonialistes et les impérialistes d’Occident et d’Orient, n’étaient que des leurres d’une cruelle et massive réalité : le déni de l’humanité africaine par les puissances terroristes envahissantes déterminées à faire de l’Afrique – y compris sans les Africains- un réservoir éternel de matières premières humaines et naturelles dédiées à la croissance de leurs intérêts nationaux et internationaux.

Dans cette logique hégémonique, les valeurs civilisationnelles d’éducation, de développement, de modernisation, de respect des droits humains, de démocratisation et d’intégration progressive dans l’architecture internationale des organisations économiques et politiques, étaient toutes faussées dès l’origine des jeunes Etats issus du processus colonial par ce déni d’humanité ontologique au projet terroriste négrier-colonial-impérialiste.[5]

Eduquer les Africains, c’était alors les faire entrer dans un moule culturel gréco-romain, européen, oriental, où ils devaient renoncer à l’ensemble des sagesses de leurs propres ancêtres pour devenir les descendants par effraction des ancêtres négriers, des colons et des impérialistes. L’éducation négrière, coloniale et néocoloniale était prescrite comme désorientation, déracinement, acculturation. Elle était vouée non à la réalisation de personnes capables de penser par elles-mêmes, mais de sujets d’une pensée fixée par l’histoire des idées, des langues, des institutions des civilisations occidentales et orientales dominantes. 

Le développement était l’introduction de l’Afrique au forceps dans le modèle productiviste occidental, où l’Africain-marchandise et l’Afrique-chasse gardée de matières premières, étaient condamnés à demeurer à la périphérie du système économique mondial, servant les puissances accumulatrices d’Occident et d’Orient en matières premières stratégiques, tout en consommant, revendus infiniment plus chers, les produits finis de l’industrie non africaine, pourtant fabriqués en très grande partie grâce aux matières premières abondamment pillées en Afrique.

La modernisation à l’Occidentale ou à l’Orientale de l’Afrique, y compris dans le domaine religieux, était l’adoption d’un vernis de culture convenable, reconnue tolérable par les maîtres de céans, afin de mériter en retour, le crédit, la dette et la coopération inéquitables.

Quant aux droits de l’Homme et à la Démocratie, ils serviraient de moyens de chantage contre des régimes africains dirimants avec l’ordre hégémonique, non par pour protéger les Peuples des despotes, mais pour s’assurer de la mainmise de l’Imperium Occidental ou Oriental sur tous les gouvernants africains.

C’est justement cette logique de l’Afrique livrée à la domination du Veau d’Or, de l’Argent-Roi[6], que l’Alliance des Etats du Sahel (AES) , à partir d’une refondation traditionnelle de la Civilisation Politique Africaine, vient de remettre en cause avec force et courage, plus radicalement que n’importe quelle autre alliance politique en cours sur le continent africain, en ce 21ème siècle.

Dans les lignes qui suivent, nous répondrons aux quatre questions suivantes : 1) Qu’est-ce qui distingue les alliances politiques existant sur le continent africain depuis plusieurs décennies de l’AES, récemment créée, courant 2023 entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger en Afrique de l’Ouest ?  2) Quelles sont les nouvelles géopolitique, géoéconomie et géostratégie que l’AES dresse en Afrique contre l’alliance néocolonialiste et impérialiste – désormais moribonde – de la CEDEAO ? 3) Quels sont les défis que l’AES devra relever à court, moyen et long terme, pour que tous ses fruits tiennent la promesse des fleurs qui en font aujourd’hui l’organisation politique africaine la plus aimée des Peuples Africains ?Telles sont les principales questions qui animeront les trois parties de notre analyse qui conclura par notre thèse essentielle sur la transformation positive de la géopolitique ouest-africaine par l’AES. 

Ce dossier sera publié en quatre parties au total sur le site de l’Institut de l’Afrique des Libertés, dans plusieurs revues et sites d’analyse politique du monde entier.

[1] Franklin Nyamsi, Réflexions pour une politique de civilisation en Afrique contemporaine, Paris, Les Editions du Net, 2018

[2] Franz Fanon, Les damnés de la Terre, Paris, Maspéro, 1961.

[3] Albert Memmi, Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur, Paris, Corréa, 1957

[4] Edward Saïd, L’Orientalisme, Paris, Seuil, 1980

[5] Pour se rafraîchir la mémoire sur l’histoire du terrorisme colonial, lire utilement le volumineux ouvrage collectif Le Livre Noir du Colonialisme,

[6] Voir la série télévisée de Patrick Benquet, Françafrique, 2010 : 1ère partie La Raison d’Etat/ 2ème partie, l’Argent-Roi