La mort triomphale de Daria – Le rôle historique du martyr et du héros

08.09.2022

Un article de Youssef Hindi (exclusivité E&R)

 

Sommaire

 

- La guerre et le héros

- Le martyr et sa victoire dans l’Histoire

*

Les assassins de notre amie et camarade Daria Douguine lui ont « offert » un cadeau : le statut de héros et de martyr. Et ils ont offert à la Russie un symbole de lutte contre l’Empire du mensonge.

Le soir de sa mort, elle a confié à son père :

« Papa, je me sens comme un guerrier, comme un héros, je veux être comme ça, je ne veux pas d’autre destin, je veux être avec mon peuple, avec mon pays, je veux être du côté des forces de la lumière, c’est le plus important. » [1]

 

La guerre et le héros

Daria Douguine n’était pas un partisan de la guerre, elle n’a jamais appelé à tuer qui que ce soit, contrairement à Bernard-Henri Lévy, le fauteur de guerre qui se félicite d’avoir contribué à déclencher des agressions militaires qui ont détruit des pays entiers, et massacré des populations civiles par dizaines de milliers.

Daria faisait partie de la large part des Russes qui a soutenu l’intervention contre le régime de Kiev qui bombarde depuis 2014 les populations civiles du Donbass, ayant fait 14 000 morts (d’après l’OSCE), et ce avant l’intervention russe du 24 février 2022 [2].

Une intervention qui n’est pas une guerre entre les Ukrainiens et les Russes, mais entre l’OTAN et la Russie. Elle est la conséquences de l’expansion (cinq vagues d’expansion) de l’OTAN vers la porte de la Russie, la menaçant directement. Il s’agit d’une guerre entre la puissance thalassocratique anglo-américaine judéo-protestante, et la Russie, la puissance terrestre qui se bat pour sa survie. C’est aussi une guerre civilisationnelle opposant le modernisme occidental au reste de l’humanité qui tente de préserver ses traditions et ses religions.

Et cela, Daria l’avait parfaitement compris, comme son père avant elle et Arnold J. Toynbee avant lui. Elle écrivait dans un récent entretien (publié le 25 mai 2022) :

Pour consolider le monde multipolaire, les zones frontalières (intermédiaires) entre les civilisations doivent être traitées avec soin. Tous les conflits se déroulent aux frontières (zones intermédiaires) des civilisations, là où les attitudes s’affrontent. Il est donc primordial de développer un état d’esprit « frontalier » (intermédiaires) si l’on veut que le monde multipolaire fonctionne pleinement et passe du « choc » au « dialogue » des civilisations. Sans cela, il y a un risque de « choc »…

La situation en Ukraine est précisément un exemple de choc des civilisations ; elle peut être considérée comme un choc des civilisations mondialiste et eurasienne. Après la « grande catastrophe géopolitique » (comme le président russe a appelé l’effondrement de l’URSS), les territoires du pays autrefois uni sont devenus des « frontières » (zones intermédiaires) – ces espaces auxquels l’attention des voisins s’est accrue, l’OTAN et surtout les États-Unis étant intéressés à déstabiliser la situation aux frontières de la Russie. Dans les années 1990, un travail cohérent a été initié avec les cadres des nouveaux gouvernements des nouveaux États – l’Ukraine ne fait pas exception. Les événements de 2014 en Ukraine, le Maïdan, soutenus avec tant de ferveur à la fois par Nuland et le fameux Bernard-Henri Lévy, soldat de l’ultra-mondialisation, ont été un tournant, en fait ils ont ouvert la porte à l’établissement d’un dictat mondialiste direct sur l’Ukraine. De plus, les éléments libéraux et nationalistes, qui étaient plus ou moins neutres avant 2014, ont rejoint un front uni avec un agenda mondialiste et pro-américain. Pendant 8 ans en Ukraine, la russophobie a été cultivée par divers programmes et l’histoire a été réécrite, jusqu’au massacre physique des Russes : ces mêmes 8 années terribles pour le Donbass avec des bombardements quotidiens…

Pour moi, la douleur la plus importante est que l’Europe a succombé à l’influence de la propagande mondialiste et qu’au lieu de rester neutre, elle a pris le parti de la guerre. » [3]

Nous sommes là très éloignés du discours « nazi » que lui prête les infâmes journalistes occidentaux et l’assoiffé de sang BHL, qui ont justifié l’assassinat d’une jeune femme de 29 ans par sa diabolisation et celle de son père Alexandre Douguine. Seuls des forces maléfiques assassinent lâchement une femme sans défense. Daria a été assassiné comme l’a été la journaliste palestinienne (de confession chrétienne) Shireen Abu Akleh par l’armée israélienne [4].

L’on peut également faire le parallèle entre la population du Donbass bombardée depuis plus de huit ans par le régime de Kiev, et la population de Gaza par l’État hébreu.

La multipolarité, la lutte contre l’empire antichristique, était le combat de Daria. Elle menait cette guerre sur le plan intellectuel et métaphysique. En cela elle était une combattante áristos (meilleur, élite) et spirituelle. Elle fait partie de ceux qui mènent une guerre défensive pour « des motifs spirituels », « une voie de réalisation surnaturelle et d’immortalisation pour le héros (c’est le thème de la "guerre sainte") » (Julius Evola, La Métaphysique de la guerre).

Nos ennemis s’imaginent marquer des points, nous affaiblir et nous effrayer en tuant nos camarades ; or ils nous renforcent.

Selon plusieurs traditions, celui qui meurt pour une cause juste n’est pas le perdant, mais le victorieux. Une antique tradition celte exhorte ainsi le guerrier :

« Combattez pour votre terre et acceptez la mort s’il le faut : car la mort est une victoire et une libération de l’âme. »

Ce qui correspond à l’expression latine mors triumphalis (la mort triomphale), et qui n’est pas éloignée de la devise Vita est militia super terram (la vie sur terre est un combat), qui fut assumée par le christianisme, qui reconnut que « non seulement avec l’humilité, la charité, l’espérance et le reste, mais aussi avec une sorte de violence — l’affirmation héroïque, ici — il est possible d’accéder au "Royaume des Cieux" » [5].

La guerre pour une juste cause, pour reprendre une terminologie du christianisme médiéval, ne doit pas être confondue avec la guerre de destruction que mène actuellement l’empire anglo-américain judéo-protestant.

Dans le présent contexte, la guerre juste est celle qui s’oppose à l’expansion de l’empire du chaos, et ce notamment au moyen du verbe.

C’est que l’on appelle en islam le jihâd fî sabîli-Llâh, « le combat dans la Voie de Dieu » et qui peut prendre plusieurs formes. Jihâd a pour étymologie « effort ».

« Le plus noble des jihâd est un discours véridique face à un pouvoir injuste. » (Le Prophète Muhammad) [6]

« Celui d’entre vous qui voit un mal qu’il le change par sa main. S’il ne peut pas alors par sa langue et s’il ne peut pas alors avec son coeur, et ceci est le niveau le plus faible de la foi. » (Le Prophète Muhammad) [7]

De ce point de vue, et plus encore dans l’ère eschatologique où se situe actuellement le combat, la guerre n’est pas tant une lutte physique qu’un affrontement spirituel contre les forces du Mal. Et Daria avait pleine conscience de la dimension fondamentalement religieuse et eschatologique de notre combat intellectuel et spirituel.

« Il y a une différence radicale entre qui fait simplement la guerre et qui, par contre, dans la guerre fait aussi la "guerre sainte", en vivant une expérience supérieure, désirée et désirable pour l’esprit.

Il faut ajouter que si cette différence est avant tout intérieure, sous l’impulsion de tout ce qui a intérieurement une puissance, se traduisant aussi à l’extérieur, des effets en découlent sur d’autres plans et, plus particulièrement, dans les termes suivants. Avant tout, termes d’une "irréductibilité" de l’impulsion héroïque : qui vit spirituellement l’héroïsme est chargé d’une tension métaphysique, stimulé par un élan dont l’objet est "infini", dépassera toujours ce qui anime celui qui se bat par nécessité, par métier ou sous la poussée d’instincts naturels ou de suggestions.

En second lieu, qui se bat dans une "guerre sainte" se situe spontanément au-delà de tout particularisme, vit dans un climat spirituel qui, à un moment donné, peut fort bien donner naissance à une unité supranationale dans l’action. » (Julius Evola) [8]

Cette guerre contre le Mal se déroule sur le plan matériel, collectif, mais également individuel. Il consiste à extirper de notre personne, de notre âme, toute influence maléfique.

C’est le sens des paroles du prophète Muhammad (paix et bénédiction de Dieu sur lui) sur le chemin du retour à Médine après les ultimes victoires de la Mecque et de Hunayn : « Nous sommes revenus du petit jihâd au grand jihâd ». Lorsqu’on le questionna sur ce qu’est le grand jihâd, il répondit : « le combat contre ses passions » [9] [10].

Le grand mystique musulman, Jalâl-ad-Dîn Rûmi (1207-1273), a commenté ces paroles du Prophète : « Nous sommes revenus, c’est-à-dire, nous avons jusqu’ici fait la guerre des formes, nous combattions contre des ennemis ayant des formes ; à présent nous combattrons contre des pensées, afin que les bonnes pensées détruisent les mauvaises et les expulsent du domaine du corps. La grande guerre et le grand combat sont cette guerre et ce combat. » [11]

 

Le martyr et sa victoire dans l’Histoire

L’histoire du christianisme des premiers siècles dans l’Empire romain, comme de l’islam des débuts, à la Mecque, est riche d’enseignements pour notre époque et notre combat contre l’Empire antichristique qui, d’une certaine façon, à repris le flambeau des païens persécuteurs des premiers chrétiens et des premiers musulmans. Elle met notamment en évidence, sans discussion, que les martyrs ne sont pas des victimes mais des héros triomphants, qui ont eu raison de leurs ennemis, et ce après leur mort.

Les trois premiers siècles du christianisme sont pavés de sang et de douleur, et les siècles suivant ont été ceux du triomphe, de la gloire et de la puissance. Les derniers sont devenus les premiers.

L’apôtre Pierre, qui s’est rendu à Rome pour répandre l’Évangile fut l’un des premiers martyrs du christianisme. Il a été arrêté par des officiers romains, puis condamné à mort, crucifié, dans la capitale de l’Empire.

En 250, l’empereur Dece (mort en 251) décida de rendre obligatoire le culte impérial pour les chrétiens et non pour les juifs, qui en étaient exemptés. Étaient condamnés à mort les chrétiens qui refusaient d’apostasier [12].

En 257, l’empereur Valérien (vaincu et capturé par les Perses en 260) reprenait les persécutions contre les chrétiens. Un premier édit impérial (257) visait les clercs, tenus de sacrifier aux dieux païens sous peine d’exil ou de travaux forcés. Le deuxième (258), plus sévère, condamnait à mort tous les chrétiens qui refusaient de sacrifier.

En 303 démarra la persécution la plus longue, ordonné par l’empereur Dioclétien. Un premier édit ordonna de « raser au sol les églises et de jeter les Écritures au feu » ; les chrétiens de haut rang étaient exclus de l’administration et perdaient leurs droits et privilèges. Trois autres édits aggravèrent le premier, imposant finalement à tous les chrétiens l’apostasie sous peine de mort. Il y eut des milliers de victimes, surtout dans la partie orientale de l’Empire.

L’historien et évêque Eusèbe de Césarée, témoin oculaire des événements en Égypte, raconte dans son Histoire ecclésiastique :

« Nous avons vu nous-même, étant sur les lieux, un grand nombre de martyrs subir ensemble, en un seul jour, les uns la décapitation, les autres le supplice du feu, si bien que le fer qui tuait était émoussé et qu’usé il était mis en pièces et que les bourreaux eux-mêmes, fatigués, se succédaient alternativement les uns aux autres. »

L’acharnement contre les chrétiens se poursuivit jusqu’en 312, notamment en raison de l’accroissement de leur nombre. Le nombre de chrétiens augmenta, non pas malgré les persécutions, mais grâce aux persécutions. La dimension héroïque des martyrs n’effraya pas les futurs convertis, bien au contraire, elle les attira vers le christianisme. Pour reprendre les termes de l’historien Peter Brown, « la démesure héroïque démontrait la supériorité surnaturelle de la religion chrétienne » [13]. Le sang des martyrs ensemençait des chrétiens, disait Tertullien.

Le martyr (qui signifie témoin en latin comme en arabe, chahid) est un héros (celui qui fait preuve d’un courage et d’un mérite supérieur). Le martyr/héros survit à sa propre mort et fait prospérer la religion, la croyance pour laquelle il a accepté de se sacrifier.

Ces martyrs chrétiens, à commencer par l’apôtre Pierre, ont sans aucun doute été inspiré par le Christ (que la paix soit sur lui) qui, dans la tradition chrétienne, est mort crucifié (et ressuscité). Dans la tradition musulmane, Jésus, le Messie, n’a été ni tué ni crucifié, mais Dieu l’a sauvé et élevé. Finalement, dans les deux traditions, chrétienne et musulmane, c’est vivant que Jésus est monté aux cieux.

La crucifixion et la « mort » de Jésus furent interprétées comme une défaite par ses ennemis les pharisiens et les juifs qui ont refusé de le suivre. Du point de vue chrétien et musulman, ce fut une victoire, puisque Jésus quitta la Terre en étant bel et bien vivant. Mais cette victoire fut également historique, puisque trois siècles plus tard, l’Empire romain fit sa conversion au christianisme.

La guerre menée contre les chrétiens et plus tard contre les musulmans n’a fait que renforcer ces deux religions, les martyrs les ont fait grandir, et leur prestige a attiré de nouveaux convertis jusqu’à faire naître des empires.

Le contexte est aujourd’hui différent mais nous faisons face aux mêmes forces que ceux qui nous ont précédés. Nous sommes confrontés aux forces antichristiques qui ciblent tous ceux qui s’élèvent contre elles.

Daria fait partie de ceux qui se sont élevés contre cet empire maléfique, sachant les risques encourus. La Russie, comme tous ses camarades à travers le monde, dont je suis, la comptons donc parmi les héros/martyrs pour s’être sacrifiée dans cette lutte contre Satan (l’adversaire).

L’histoire doit ainsi servir de leçon à tous ceux qui sont engagés dans ce combat, comme à nos ennemis qui ont été défaits hier et qui le seront demain.

Le courage d’une jeune femme morte dans la lutte pour la Vérité aura pour conséquence de renforcer ceux qui, en Russie comme ailleurs, luttent contre les avatars de l’Antéchrist. Le sacrifice de Daria permet également de mieux cerner, pour ceux qui en doutaient encore, la nature diabolique de notre ennemi, qui s’est réjoui de l’assassinat d’une femme innocente.

Aussi, Daria mérite un monument ou une rue en son honneur à Moscou, où elle est née et d’où elle a mené son combat, notre combat, mais aussi dans d’autres pays, comme symbole de la lutte contre l’Empire du mensonge. Non pour la glorifier, mais pour que son témoignage soit inscrit dans les mémoires comme dans le marbre. Car, symboliquement, les martyrs combattent aux côtés des vivants.

Youssef Hindi

 

 

Notes

[1https://www.geopolitika.ru/fr/news/...

[2https://www.liberation.fr/internati...

[3https://www.breizh-info.com/2022/05...

[4https://news.un.org/fr/story/2022/0...

[5] ulius Evola, La Métaphysique de la guerre, Diorama Filosofico, mi-août 1935.

[6] Rapporté par An-Nassâ’î.

[7] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°49. Selon le grand savant Mullâ ‘Alî Qarî dans « Mirqât al-mafâtih » (9/324), « changer par sa main » est la responsabilité de l’État, « changer par sa langue » appartient aux savants, et « changer par son cœur », concerne tous les gens du peuple. https://editions-hanif.com/la-polit...

[8] Julius Evola, La Métaphysique de la guerre.

[9] Bayhaqî, zuhd, cité dans Martin Lings, Le Prophète Muhammad, Ed. Seuil, p. 390.

[10] Jean-Michel Abdallah Yahya Darolles, Aperçus sur le jihad : doctrine et applications, Institut des Hautes Etudes Islamiques : http://www.ihei-asso.org/docspdf/Ap...

[11] Rûmi, Le livre du Dedans, Ed. Sindbad.

[12] Nancy Gauthier, « Mourir pour le Christ : le temps des martyrs », L’Histoire, dans mensuel 227, daté de décembre 1998. https://www.lhistoire.fr/mourir-pou...

[13] Cité par Emmanuel Todd, Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine, Seuil, 2017, Chapitre 4 : Le judaïsme et le premier christianisme : famille et alphabétisation.