La mort de la démocratie et la naissance du social-conservatisme
Depuis la chute du Mur de Berlin le monde vit sous l’hégémonie du libéralisme philosophique, politique et économique. Un système impérial oligarchique, inégalitaire, qui avance derrière le masque de la démocratie de masse. Mais le discours de la classe dirigeante et des médias occidentaux ne peut plus occulter la réalité de cette dictature sans frontière ni visage. Le roi est nu.
En Occident, et tout particulièrement dans l’Union européenne, le vote du peuple, lorsqu’il ne va pas dans le sens de l’agenda oligarchique, est ouvertement rejeté ou délégitimé (le référendum de 2005 en France, le Brexit en 2016 et l’élection de Trump la même année). L’hyper-classe ne cache plus sa volonté d’abolir, non pas la superstition de la démocratie, mais la prise en compte des intérêts des peuples.
La superstition démocratique
La démocratie est associée, dans l’imaginaire collectif, au principe d’égalité et à l’idée d’un pouvoir politique également réparti parmi les citoyens. Or, dans la Grèce antique, là où elle est née, la démocratie ne fut jamais atteinte. Depuis Athènes jusqu’au démocraties représentatives, elle s’est toujours constituée par une série d’exclusions : des esclaves, des pauvres, des femmes, des aristocrates… Et aujourd’hui, la démocratie exclu le peuple lui-même, dans sa grande majorité.
En 1895 déjà, Gustave Le Bon expliquait que le sens des termes démocratie, égalité, liberté etc, ont un sens si vague que de gros volumes ne suffisent pas à le préciser. Et pourtant, disait-il, une puissance vraiment magique s’attache à leurs brèves syllabes, comme si elles contenaient la solution de tous les problèmes. Car ces mots synthétisent des aspirations inconscientes variées et l’espoir de leur réalisation.[1]
C’est d’ailleurs sur ce flou sémantique que jouent les dirigeants occidentaux. Cette puissance magique, cet espoir de réalisation, sont liés à la dimension religieuse. De même que l’est la crise actuelle, ce qui est très souvent ignorée ou négligée par les politologues.
En effet, la démocratie est, comme toute idéologie politique, une forme de religion qui ne dit pas son nom: elle vit par et à travers la foi des peuples. Et c’est par le vote démocratique, véritable rituel religieux dans les nouveaux temples, que les citoyens communient et témoignent de leur assentiment, de leur foi dans le régime.
Mais cette foi s’est érodée, l’effet hypnotique des mots « magiques » se dissipe de jour en jour au fur et à mesure que la chimère démocratique s’éloigne et que l’appauvrissement des peuples s’aggrave au profit de la finance internationale.
Aujourd’hui, c’est tout l’édifice politique moderne qui est en danger, car au-delà de la démocratie, toutes les idéologies modernes qui sous-tendent les partis politiques et les institutions sont mortes: le socialisme, le libéralisme, la gauche, la droite… ne sont désormais plus que des mots creux auxquels seules de petites portions de population restent attachées par tradition.
Le libéralisme conservateur
La nature ayant horreur du vide, cette décomposition des idéologies modernes et la vague populiste qui s’en est suivie ont poussé la classe dirigeante à fabriquer une fausse alternative face à cette menace.
Cette nouvelle proposition politique est le conservatisme libéral. Un alliage de deux philosophies politiques antinomiques : le conservatisme et le libéralisme.
Ce courant correspond toutefois à une réalité sociologique, l’alliance objective des bourgeoisies traditionnelle et libérale progressiste. En France, par exemple, les partisans de la Manif pour tous (la bourgeoisie catholique et conservatrice qui s’est opposée au mariage homosexuel et à l’homoparentalité), ont massivement voté pour le pro LGBT Emmanuel Macron en 2017 (76% à Versailles); et de la même façon, l’électorat de la gauche bourgeoise, opposée verbalement à la finance internationale, à voté au second tour pour le même candidat, ce banquier estampillé Rothschild (52% des électeurs de Mélenchon ont voté pour Macron).
Aux Etats-Unis on retrouve le même schéma, les démocrates progressistes comme les républicains conservateurs s’opposent (sauf exceptions) au protectionnisme économique qui permet de sortir les prolétaires et les classes moyennes de la pauvreté; mais également de sauver l’économie nationale.
Le philosophe français Jean-Claude Michéa résume ainsi la contradiction des conservateurs libéraux: «on peut difficilement concilier l’idée que le dimanche est le jour du Seigneur ou des activités familiales et l’idée qu’il devrait être un jour ouvrable comme les autres. Le modèle économique vise d’abord à produire, vendre et acheter tout ce qui peut être produit ou vendu, qu’il s’agisse d’un écran plat, d’une kalachnikov ou du ventre d’une mère porteuse. »[2]
Pour une certaine bourgeoisie, l’attachement à la religion n’est pas liée aux valeurs positives que celle-ci porte en elle et véhicule, bien au contraire; par exemple: en France, la bourgeoisie voltairienne anti-catholique du XVIIIe siècle s’était partiellement recatholicisée au XIXe, non pas parce qu’elle avait retrouvé la foi, mais par peur de la révolution sociale qui pouvait mettre en péril ses intérêts[3].
Cette bourgeoisie qui s’est alliée dans la même période aux cosmopolites ayant travaillé à l’élaboration et à la diffusion dans toute l’Europe de la doctrine libérale du philosophe Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon (1760-1825) et qui a contribué à établir la domination du capitalisme bourgeois au XIXe siècle[4].
Cette bourgeoisie qui se pare de valeurs traditionnelles est, dans la pratique, plus libérale que conservatrice, plus matérialiste que religieuse, et elle se situe aux antipodes du catholicisme social qui méprisait l’argent et encourageait chez les privilégiés le sentiment de responsabilité vis-à-vis des pauvres.
Par ailleurs, la survivance de disciplines sociales venues des enseignements de l’Eglise – stabilité familiale, coopération locale, moralité anti-individualiste – constitue encore aujourd’hui des couches protectrices dans une société néocapitaliste favorisant l’isolement des individus, l’égoïsme, le narcissisme de masse et la dévalorisation, sur le plan idéologique, de tout travail qui n’engendrerait pas instantanément un gain[5].
Au-delà de leurs discours, les deux bourgeoisies, de gauche et de droite, font front commun pour protéger leur porte feuille contre l’intérêt national, contre le peuple.
Le conservatisme social pour contrer le libéralisme conservateur
Partant de cette réalité historique et sociologique, l’alternative à proposer et à définir, logiquement, est un conservatisme social, c’est-à-dire la cohérente combinaison des valeurs traditionnelles et d’un protectionnisme socio-économique.
Le nouveau clivage dans l’ensemble des pays développés, obéit aux mêmes logiques économiques et culturelles opposant des territoires intégrés à la globalisation économique, à savoir les grandes métropoles mondialisées d’une part, et d’autre part les petites villes, villes moyennes desindustrialisées et les zones rurales[6] : là d’où part la vague populiste, là où vit la majorité, composée de la classe ouvrière, des paysans et des classes moyennes qui souffrent de la globalisation.C’est à ceux-là que s’est adressé Donald Trump durant sa campagne électorale en 2016, et c’est ceux-là qui l’ont fait gagner.
Les peuples occidentaux sont désormais prêts à entendre et à répondre à un discours social-conservateur, mais encore faut-il mettre l’accent sur ce qui réunit les différentes composantes de la société majoritaire:le protectionnisme socio-économique et culturel.Car, le fait est que les sociétés occidentales sont, pour beaucoup, tellement éclatées, en raison de la disparition des croyances collectives, qu’il est difficile, voire impossible, d’établir une cohésion semblable à celle des sociétés traditionnelles.
Le communisme et le républicanisme promettaient le paradis égalitaire immédiat sur terre. Ayant échoué à réaliser leurs promesses, le premier est mort, tandis que le second est dans sa phase finale de décomposition.
À l’inverse, le catholicisme et l’orthodoxie promettaient, par le baptême et les œuvres, le salut et la félicité éternelle dans l’au-delà, mais ils garantissaient également sur terre une protection sociale.
Nous devons donc intégrer, dans un deuxième niveau du discours social-conservateur, le projet d’une constitution fondée sur la loi naturelle et la loi divine (les deux coïncident), tel que voulu par les pères de l’État moderne, le français Jean Bodin et l’anglais Thomas Hobbes, lequel expliquait que « la fonction du souverainconsiste dans la fin pour laquelle le pouvoir souverain lui a été confié, à savoir procurer au peuple la sécurité, fonction à laquelle il est obligé par la loi de nature, et il est obligé d’en rendre compte à Dieu, l’auteur de cette loi, et à personne d’autre.»[7]
C’est ce que demandent aujourd’hui les peuples: des dirigeants et des lois qui leur procurent la sécurité face au serpent globaliste.
[1]Gustave Le Bon, La psychologie des foules, 1895, Presses Universitaires de France, 1963, pp. 59-60.
[2]Jean-Claude Michéa, entretien avec Laetitia Strauch-Bonart, « Peut-on être libéral et conservateur ? », Le Figaro, 12 janvier 2017.
[3]Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, 2015, Le Seuil, p. 53.
[4]Bernard Lazare, L’antisémitisme son histoire et ses causes, 1895, réédition 2012, Kontre Kulture, p. 131.
[5]Emmanuel Todd, op. cit. p. 118.
[6]Christophe Guilluy, No Society, La fin de la classe moyenne occidentale, 2018, Flammarion, pp. 27-28.
[7]Thomas Hobbes, Le Leviathan, chapitre XXX : De la fonction du Représentant souverain, 1651.