A la mémoire de Daria Douguine
I
Frappez, bourreaux, frappez à mort les innocents
Tandis que Barrabas dine avec les puissants
Soyez vils, soyez bas, ayez l’idée infâme,
D’abrutir un penseur en tuant une femme
De blanchir en un jour par ce meurtre outrageant
D’un père écartelé la barbe aux fils d’argent
Sous les regards éteints de la masse poltronne
Imposez-nous du Christ la pourpre et la couronne
Sur nos os mis à nu par les poings épineux
Que tous les sectateurs font tournoyer en eux
Faites claquer cent fois le fouet du mensonge
Abreuvez-nous du fiel dont est plein votre éponge
Remplissez le ciel bleu de nos cris, mettez-nous,
Tel Job anéanti, seul sur terre, à genoux,
Obligez-nous en vain à renier nos croyances
À sceller avec vous de nouvelles alliances
Graciez-nous pour nous voir hurler avec les loups
A vos lâches serments, nous préférons nos clous,
A vos sceptres, nos croix, à vos pompes funèbres,
Nos deuils, à votre lustre éclatant, nos ténèbres
A la paix intérieure, aux lauriers d’Amadis,
Au jardin luxuriant qu’était aux temps jadis
Ce pays de cocagne et de liesse, la France,
Son désert reverdi par la sainte souffrance !
II
Fauchez, voleurs, fauchez, le blé en herbe et la
Fleur aux champs, galopez sur les pas d’Attila
Ce que Dieu lui légua, que Satan vous l’accorde
Soyez, cyclope aveugle à Sa Miséricorde,
Jusqu’en chacun de nous, cet oeil qui peut tout voir
Prenez votre tribut, l’argent et le pouvoir,
Rentrez avec fracas dans nos cités castrales
Traînez dans le purin nos gloires ancestrales
Pillez, dévalisez, remplissez votre sac,
De la fatalité, houle, lame et ressac,
Soyez tel l’océan débordant de la berge,
Aux mains de ce boucher, la hache et la flamberge !
Face au peuple éborgné, couché sur son grabat,
Hardis profanateurs, fêtez votre sabbat ;
Dans ce palais ducal changé en Colisée,
L’hôtel particulier du vice, l’Elysée,
Faites entrer vos chars recouverts de butins,
Vos eunuques, vos boucs, vos sorciers, vos putains !
Cet affront incessant, cette longue agonie,
Qui fait bailler l’Ennui et rêver l’Ironie,
Nous l’acceptons sans bruit, en priant, humblement,
Comme un coupable avéré, son juste châtiment,
Un esprit résigné, les fléaux de l’Histoire,
Une âme empoisonnée un temps de Purgatoire,
L’héritier d’un royaume autrefois honoré
L’autel au pied duquel il sera restauré.
III
Tremblez, tyrans, tremblez, un martyr est un arbre.
Sous la terre, en secret, de son tombeau de marbre,
Mineur infatigable, ouvrier silencieux,
Il s’étend ici-bas comme il croit dans les cieux.
Le temps le fortifie et chaque jour qui passe,
Il élargit sa ramure, un peu plus dans l’espace
Le voilà devenu bientôt si majestueux,
- Lui, le fruit de la mort, l’appui des coeurs vertueux –
Que, bravant les périls, de toutes parts, en nombre,
Las de brûler chez vous, l’on vient jouir de son ombre.
Rien n’y fait. Entêtés, bornés, comme le sont,
D’ordinaire, on le sait, les donneurs de leçons,
Amoureux de leurs jougs, multipliant vos chaînes,
Des meilleurs d’entre nous, vous tirez d’autres chênes…
Et tandis que Paris, frappée en son portrait,
Porte, une entaille au front, le deuil de sa forêt,
Réveillant en chaque homme éclairé un apôtre,
Vous y semez le grain d’où germera la vôtre.
Superbes bateleurs, impassibles gerfauts,
Roitelets de l’azur, soleils des échafauds,
Vous qui surpasserez dans le rôle d’Hérode,
D’Aurèle ou de Trajan, nos acteurs à la mode,
Vous qui nous dominez, du ciel où vous régniez
- Certes, pour le profit d’un obscur fauconnier –
Soyez tous remerciés ! Vos crimes symboliques
Rendent en les brûlant une âme à nos reliques
Au lieu de les détruire, ils tirent de leurs lits
Ces gisants indignés, nos preux, la fleur des lys !
Au lieu de désunir comme en dix-huit cent douze
La fille de la Foi et sa première épouse,
Dans Notre-Dame en ruine, asile du paria,
Ils font rentrer la châsse où repose Daria.