Géopolitique et géographie sacrée dans le contexte du conflit ukrainien

09.08.2023
Rapport de Daniele Perra à la conférence "Violation des droits religieux. Attaque contre l'église orthodoxe ukrainienne" (Vienne, 22 juillet 2023)

Bonjour à tous,

Je suis Daniele Perra, essayiste et géopolitologue italien. Je collabore actuellement à Eurasia. Rivista di studi geopolitici, avec le CeSEM (Centro Studi Eurasia-Mediterraneo) et avec la maison d'édition Anteo Edizioni. Mon travail se concentre principalement sur la relation (plus ou moins secrète) entre la géopolitique et la géographie sacrée. J'ai essayé (et j'essaie toujours) de mettre en évidence le fait que la géopolitique est, d'une certaine manière, une discipline dérivée de la géographie sacrée.

Avant de commencer, je voudrais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de participer à un événement aussi important.

Il y a donc de nombreux aspects de la situation conflictuelle actuelle en Ukraine qui sont totalement ignorés dans les pays "occidentaux" et plus généralement en "Occident". Il convient de souligner que lorsque je parle de "l'Occident", je ne fais pas référence à un concept géographique, mais avant tout à un concept idéologique. L'Occident d'aujourd'hui, culturellement hégémonisé par les États-Unis d'Amérique, est l'espace où tout ce qui est sacré est nié. Ou plutôt, l'Occident est l'espace dans lequel le sacré devient "anti-sacré". Le philosophe allemand Martin Heidegger a utilisé le terme "Ungeist" pour décrire un état dans lequel l'esprit d'une civilisation devient "anti-spirituel".

Mais revenons au sujet de la conférence : les violations des droits religieux et les attaques contre l'Église orthodoxe ukrainienne qui était demeurée sous l'égide du patriarcat de Moscou. Je crois fermement que cet aspect du conflit (qui dure maintenant depuis plus de neuf ans) fait partie du processus que j'ai appelé dans mes textes "l'occidentalisation de l'espace". Qu'est-ce que cela signifie?

L'occidentalisation de l'espace est un processus qui transforme l'espace géographique d'un espace "qualitatif" en un espace "quantitatif". Karl Marx parlait de "l'accumulation du capital". Il s'agit exactement du même processus, à la différence qu'au lieu du capital, nous avons une accumulation d'espace qui devient culturellement "occidentalisé" : c'est-à-dire dominé par une superstructure culturelle (basée sur des principes typiquement occidentaux) dans laquelle la prétendue tolérance n'est qu'un masque pour cacher des formes diverses et profondes de racisme culturel.

Comme nous le savons, l'Europe d'aujourd'hui n'est que la périphérie d'un empire dont le centre se trouve à l'extrême ouest. L'Europe a été conquise par le pays hégémonique de l'Occident actuel, les États-Unis d'Amérique, non seulement militairement (l'OTAN, par exemple, n'est qu'un outil pour maintenir l'Europe dans un état de captivité géopolitique grâce à une classe politique et intellectuelle largement complice de l'occupant). L'Europe a également été conquise par l'Extrême-Occident sur le plan métaphysique. En effet, on peut affirmer (sans crainte d'être contredit) que l'Europe a été métaphysiquement anéantie par l'Extrême-Occident.

Ceci, à mon avis, est très important parce que c'est exactement le même processus auquel nous assistons aujourd'hui en Ukraine. Un processus que nous avons déjà observé en Serbie à la fin des années 1990. La Serbie a été séparée par la force de la région où se trouvent les fondements métaphysiques de la nation serbe: le Kosovo et la Métochie.

Qu'a fait l'Occident dans ce cas ? Il a créé une sorte de narco-État (à la merci des organisations criminelles et terroristes), avec des statues et des avenues dédiées aux présidents nord-américains, au milieu des Balkans, où se trouve (historiquement) l'un des centres sacrés les plus importants du christianisme oriental (comparable uniquement au Mont Athos). C'est là, entre autres, que se trouve le célèbre monastère de Visoki Dečani, où l'on peut admirer la non moins célèbre, mais aussi la très rare, icône du Christ à l'épée.

C'est exactement le même processus qui se déroule en Ukraine, où les droits de l'Église orthodoxe liée au Patriarcat de Moscou sont constamment violés afin de soutenir la domination de cette Église ukrainienne qui a littéralement acheté l'autocéphalie au Patriarcat de Constantinople grâce à l'argent occidental et aux pressions exercées par le président de l'époque, Petro Porochenko, et par le Département d'État américain (ce qui a conduit au très grave schisme entre Moscou et Constantinople).

Et là encore, nous assistons à un processus de désacralisation de l'espace. Personnellement, je prends toujours comme exemple les nouvelles fresques sur les murs de la cathédrale de Ternopil "bénies" par le patriarche autoproclamé de Kiev Filarete Denishenko. Sur ces fresques, nous pouvons "admirer" Saint-Georges qui, au lieu de transpercer un dragon avec sa lance, frappe un aigle bicéphale qui est à la fois un symbole russe et (plus généralement) un symbole de l'orthodoxie elle-même. En outre, le saint est entouré de drapeaux de l'Armée insurrectionnelle de Bandera et des symboles utilisés par le tristement célèbre Bataillon Azov (la rune Wolfsangel, anciennement utilisée par la Panzerdivision SS "Das Reich" pendant la Seconde Guerre mondiale). Ce groupe d'orientation "néo-païenne" (en réalité de simples "idiots utiles" de l'hyper-atlantisme) est notamment connu pour avoir incendié des icônes chrétiennes et pour s'être rendu coupable de persécutions répétées à l'encontre de la population du Donbass.

Ainsi, Kiev, terre qui a abrité les fondements historiques et métaphysiques de l'espace russe et de l'identité russe elle-même, est en train de s'"occidentaliser" à marche forcée. On peut également inclure dans ce schéma géopolitique les attaques incessantes contre la Crimée. En effet, le régime Zelensky prétend constamment vouloir reconquérir la Crimée (qui, rappelons-le, a simplement été "donnée" à la République socialiste d'Ukraine en 1954). Pourquoi la reconquête de la Crimée est-elle si importante ?

Outre la valeur géopolitique intrinsèque de la péninsule en tant qu'avant-poste permettant de projeter une influence sur la mer Noire, le Grand Prince Vladimir a été baptisé en Crimée (à Chersonèse, près de l'actuelle Sébastopol) au 10ème siècle. À partir de la Crimée, l'orthodoxie s'est répandue dans l'espace russe. Celui-ci se révèle donc être un "centre sacré" qui doit nécessairement être "occidentalisé", c'est-à-dire privé de sa capacité à exercer une influence métaphysique. J'espère avoir été suffisamment clair à cet égard, car je considère qu'il est fondamental de comprendre que, derrière les aspects purement matériels (liés à la géopolitique en tant que science profane), il y a toujours des aspects plus profonds qui sont souvent niés par de nombreux analystes ou présumés tels.

Source: geostrategy.rs

Traduction par Robert Steuckers