Droite et gauche ? La véritable distinction politique de notre époque se situe entre le nihilisme vitaliste et le sens de la finitude humaine

29.10.2024

Ces derniers jours, j'ai participé à des discussions en ligne avec des amis et des contacts d'une certaine profondeur culturelle qui critiquaient le désir répandu de dépasser la dyade catégorielle droite-gauche.

Les arguments variaient, mais celui qui revenait le plus souvent était que tant qu'il y aura un point de vue orienté vers l'universalité des droits sociaux par opposition à un point de vue niant la nécessité d'une protection sociale, la distinction entre la gauche et la droite persistera.

Cependant, comme je l'ai déjà soutenu à plusieurs reprises, l'opposition susmentionnée concerne la gauche des 19ème et 20ème siècles, c'est-à-dire la gauche fondée sur la lutte des classes ou, du moins, sur l'héritage de cette dernière.

L'émancipation ouvrière et prolétarienne n'est cependant pas l'objectif autour duquel la gauche est née historiquement. L'avènement du mot « gauche » coïncide en effet avec un processus révolutionnaire ayant pour principe constitutif l'idée que « les droits de la liberté, de la propriété, de la sûreté et de la résistance à l'oppression doivent être garantis à tous les citoyens » (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, France, 1789). Dans ce contexte, le concept d'égalité existe, certes, mais il concerne le statut juridique et la citoyenneté, et non l'économie politique.

De plus, ce processus révolutionnaire est issu d'une base philosophique des Lumières quelque peu hostile au passé et l'exprime par un désir de tabula rasa, un redémarrage palingénésique du temps historique à partir de zéro.

Après les contingences de l'alliance entre la bourgeoisie progressiste et la classe prolétarienne, après la phase d'industrialisation et le compromis fordiste entre les classes sociales - selon divers penseurs d'aujourd'hui, dont Jean-Claude Michéa - la gauche de ce nouveau siècle n'a pas « viré à droite » mais est revenue à ses origines des Lumières.

A l'appui de cette thèse, que je partage, je pose la question suivante aux détracteurs du concept de dépassement gauche-droite :

Il y a deux ans, le gouvernement espagnol a fait passer la philosophie d'une matière obligatoire à une matière optionnelle dans les lycées, affirmant également vouloir surmonter l'académisme et donner plus d'espace à l'éco-féminisme, aux droits des LGBT, etc.

Honnêtement, je ne vois rien en elle qui puisse être spécifiquement qualifié de « droite ». Au contraire, j'y vois ce mépris du passé et ce désir de tabula rasa qui caractérisaient la gauche à ses origines, ces mêmes « destins et progressions magnifiques » dont se moquait déjà Giacomo Leopardi il y a deux cents ans.

Un autre aspect doit être pris en compte : la vision progressiste du temps historique est en elle-même vitaliste. C'est - pour le dire cette fois de droite avec Marinetti - une locomotive qui fonce vers un accident. Bref, quelque chose qui n'a pas besoin de protection sociale.

Aujourd'hui, alors que l'homme s'immerge dans la numérisation, le sens de l'éphémère, de la fragilité et de la finitude de la vie humaine, il est étouffé par le bourdonnement perpétuel et immortel des machines.

Et la politique s'adapte : qu'il s'agisse du néo-modernisme visant à effacer le passé, posture promue par la gauche, ou de la perspective néo-barbare de la droite selon laquelle la liberté consiste pour chacun à acheter un fusil automatique à l'emporium d'à côté et à aller tirer dans une école, tout est impulsion vitaliste aveugle et frénétique, tout est suppression de la fragilité.

Et nous en arrivons à la question mentionnée au début, celle des droits sociaux et de la protection sociale.

Pour que des réglementations telles que l'aide au revenu pour les chômeurs et les employés à temps partiel, les pensions et les soins de santé gratuits soient considérées comme légitimes, il faut que se généralise une vision de l'existence axée sur l'impératif de soigner, de protéger et de préserver.

(Et à ce stade, une deuxième question peut se poser : soigner, protéger et préserver sont-ils des principes de droite ou de gauche ?)

En bref, il faut une idée de l'homme qui revienne au centre de sa réalité mortelle, une idée qui sache tirer précisément de cet aspect déchu et malheureux, comme le dit Simone Weil, le sens de la fraternité et de la communion.

Mais tout cela signifie qu'il faut combattre les deux paradigmes de droite et de gauche, obtusément vitalistes et farouchement nihilistes, comme des ennemis de la vie et de l'amour entre les êtres humains.

Source

Traduction par Robert Steuckers