C’était cela ou passer vite à la trappe !
Donald joue la petite créature postmoderne dans une vingtaine de films, souvent en caméo. Il célèbre dans Zoolander le mannequin éponyme joué par Ben Stiller et qui n’existe que dans l’étoffe (ou dans la « toile ») dont sont tissés nos rêves. Il était souvent référencé aussi dans la série légendaire Sex and the City. Trump est bien estimé par Woody Allen.
Il s’est fait élire en jouant au croquemitaine antisystème, au panégyriste des âges d’or, vieille tradition droitière en Amérique ou ici. Le populisme marchait déjà à Rome ou à Athènes. Lui-même se félicite du taux de chômage qu’il accusait d’être manipulé pendant sa campagne. Voyez à ce sujet les blogs techniques de David Stockman, Paul Craig Roberts et John Williams. Trump découvre élu que tout va bien.
Il ne faut pas oublier qu’il s’était rendu populaire avec son Apprenti et ses passades médiatiques, que c’est un homme de télévision façon Berlusconi, poreuse figure médiatique, multifonctions, plus que politicien ou affairiste. Notre ami Escobar évoquait l’incontournable Jean Baudrillard, je rappellerai que Debord parle de division parodique du travail et du statut médiatique qui importe plus que tout.
Citons le classique hollywoodien Network de Sidney Lumet (1976). Ici on a un présentateur de télé rebelle qui rencontre un grand succès populaire, avant de se résigner et de nous soumettre, et de se faire assassiner pour baisse d’audimat.
Il se résigne car on lui fait la morale, on lui a expliqué le système. Le système ce n’est ni les Etats ni les nations. Retournons la pub Axa, et disons que (comme dans Matrix) derrière les hommes il y a les chiffres et les data. Une entreprise textile monte en bourse quand sa fringue fabriquée cinquante centimes au Bangla Desh est vendu quinze euros au chômeur parisien.
Jensen, le manitou qui reçoit le rebelle dans son Walhalla s’exprime comme un Führer du billet vert-de-gris :
JENSEN You have meddled with the primal forces of nature, Mr Beale, and I won’t have it, is that clear?! You think you have merely stopped a business deal — that is not the case!
Et on en arrive aux saoudiens accusés quarante ans avant Trump ou trente avant Michael Moore (lui aussi un clown bien contrôlé) d’avoir racheté le pays suite à la crise (défense de rire) du pétrole en 1973 :
- ‘The Arabs have taken billions of dollars out of this country, and now they must put it back. It is ebb and flow, tidal gravity, it is ecological balance!’
Jensen aime aussi, comme tout capitaliste darwinien, citer la nature qu’il extermine sous toutes les contrées, et il en arrive au point-clé, comme nos chers Bilderbergs: il n’y a plus que du fric, les nations sont mortes. Dans son anglais analphabète :
- ‘You are an old man who thinks in terms of nations and peoples. There are no nations! There are no peoples! There are no Russians. There are no Arabs! There are no third worlds! There is no West!’
Voici qu’il y a un système holistique de dollars. On note la belle accumulation rabelaisienne de monnaies et de données pour expliquer au benêt qu’ils n’ont pas compris qu’ils sont déjà morts, ces américains ou ces français, mais recyclés sous forme de consommateurs citoyens-producteurs endettés :
- « There is only one holistic system of systems, one vast and immane, interwoven, interacting, multi-variate, multi-national dominion of dollars! Petro-dollars, electro-dollars, multi-dollars! Reich marks, roubles, rin, pounds and shekels! It is the international system of currency that determines the totality of life on this planet! That is the natural order of things today!
Ne pas faire de vagues… Et emporté par son chaleureux élan et son anglais de supérette fasciste et extatique, le businessman Jensen nie qu’il y ait une démocratie ou un pays.
‘You get up on your little twenty-one inch screen, and howl about America and democracy. There is no America. There is no democracy. There is only IBM and ITT and A T and T and Dupont, Dow, Union Carbide and Exxon. Those are the nations of the world.’
Pourquoi parler de conspirations en cachette quand un film couronné comme celui-là vous ouvre les yeux ?
Ces nations du monde matriciel et numérique annoncent comme on sait les heures les plus « maussades » de notre histoire (lisez Greg Johnson à ce propos sur Unz.com). La fascisation du système va se renforcer en France pour soumettre ce qui reste de résistance ; gageons que si Fillon est élu à la place du machin Macron, lui qui a été présenté comme un antisystème pendant huit jours face à Juppé, il fera pire que Macron – et pire que Trump, ou que Tsipras. On nous propose huit candidats anti-européens, et on sait tous pourquoi : c’est pour mieux nous soumettre.
Pour ceux qui vont voter, un peu de Guy Debord :
« Ainsi renaissent de fausses oppositions archaïques, des régionalismes ou des racismes chargés de transfigurer en supériorité ontologique fantastique la vulgarité des places hiérarchiques dans la consommation. Ainsi se recompose l’interminable série des affrontements dérisoires mobilisant un intérêt sous-ludique, du sport de compétition aux élections ».
Après Bernays, Debord aussi écrivait sur ce type de lecteurs présidentiels de prompteurs :
« Kennedy était resté orateur jusqu’à prononcer son éloge sur sa propre tombe, puisque Théodore Sorensen continuait à ce moment de rédiger pour le successeur les discours dans ce style qui avait tant compté pour faire reconnaître la personnalité du disparu. Les gens admirables en qui le système se personnifie sont bien connus pour n’être pas ce qu’ils sont ; ils sont devenus grands hommes en descendant au-dessous de la réalité de la moindre vie individuelle, et chacun le sait ».
Debord ajoutait que le destin du spectacle n’était pas de finir en despotisme éclairé, et qu’il faudrait se signaler par son amour de la liberté. A chacun sa dignité, et je la vois moi chez ceux qui pensent aujourd’hui et qui résisteront demain.
Source: voxnr.com