Alep bientôt aux mains des jihadistes?

09.08.2016
Martial Roudier revient, dans son point de situation numéro 10 disponible sur Lengadoc Info - sur la situation dans la guerre civile syrienne

Nous rapportions récemment une grande victoire des troupes gouvernementales dans la zone nord de la ville d’Alep, considérée comme le poumon économique de la zone septentrionale de la Syrie. La prise d’une portion de la route dite « Castello » avait permis de couper la seule voie d’approvisionnement pour les rebelles situés dans les quartiers est de la ville et d’en réaliser l’encerclement total. Deux jours plus tard démarrait une offensive jihadiste qui vient d’avoir comme résultat de briser cet encerclement et de menacer les quartiers fidèles au président Bachar El-Assad situés à l’ouest de la ville.

La peste Daechienne ou le choléra Al-Qaïdien ?

Nous assistons depuis quelques semaines à une évolution au sein de la mouvance islamiste en Syrie et en Irak. Celle-ci consiste en réalité en un changement de leadership. La nature ayant horreur du vide, les revers quasi quotidiens que subit l’Etat Islamique profitent à l’autre organisation islamiste qu’est Al-Qaïda. Ces deux organisations, facettes de la même idéologie, sont donc en mortelle concurrence partisane.

La coalition occidentale a enfin pris la mesure de la dangerosité du groupe Etat Islamique et suite aux (trop) nombreux attentats qui ont secoué l’opinion (Bataclan, Magnanville, Nice, St Etienne du Rouvray…), et a décidé de réagir en intensifiant son action militaire autour des fiefs islamistes. Nous avons même vu le président turc Erdogan, lassé sans doute par des attentats sur son sol qui ne provenaient pas du PKK, se rapprocher de la Russie! L’étrange coup d’état manqué qui lui aura permis de purger massivement le pays, y a sans doute été pour beaucoup.

En Irak c’est la ville de Fallujah qui a été entièrement reprise aux combattants de l’Etat Islamique par les forces irakiennes largement soutenues par les occidentaux. En Syrie la ville de Manbij -carrefour d’aiguillage pour les combattants et le matériel- est en passe de tomber sous l’effort mené par les troupes arabo-kurdes elles aussi pilotées par les occidentaux. Il ne reste donc en guise de bastions islamistes que les « capitales » de Mossoul en Irak et de Raqqah pour la Syrie. Ces deux villes ayant déjà ressenti les prémisses des combats à venir. L’Etat Islamique est donc un animal acculé. Mais par conséquent terriblement dangereux. Il s’opère un changement au niveau tactique qui consiste en la multiplication d’attentats au sein même des pays non islamistes voire tout simplement pas assez islamistes. Ces attentats devant être particulièrement choquants et largement médiatisés.
Sur le terrain s’opère un transfert de combattants qui quittent les rangs de Daech pour s’engager sous le drapeau du concurrent qu’est Al-Qaïda.

Alep bientôt aux mains des islamistes ?

L’offensive « rebelle » sur Alep, si elle n’est pas à l’initiative de Daech, ne doit pas nous leurrer sur son caractère fondamentalement islamiste. Il y a certes des troupes dites « rebelles » sous la bannière de l’ASL (Armée Syrienne Libre) composée de civils et de déserteurs de l’Armée Arabe Syrienne. Mais ces combattants se voient aujourd’hui débordés par les milices jihadistes, regroupées au sein du Front Fatah Al-Cham, qui ont pour unique objectif l’imposition de la Charia. Et par voie de conséquence, le renversement du régime en place.

Pour ce qui est de la situation à Alep, l’offensive de cette semaine a consisté, de la bouche même de l’état major islamiste, en la plus importante mobilisation sur le territoire depuis le début de la révolution en 2011. Ce sont près de 5000 hommes qui auraient été engagés par les jihadistes afin d’effectuer cette percée. En une semaine ce ne sont pas moins de 700 combattants qui ont été tués des deux cotés, 200 uniquement pour la journée de samedi, et 130 civils. De l’aveu des chefs islamistes, les morts sont majoritairement de leur coté. La percée, à grands renforts d’attentats suicides, s’est effectuée sur le flanc sud-ouest d’Alep dans le quartier gouvernemental de Ramouseh où sont rassemblées l’École Militaire de l’Artillerie, celle de l’Aviation ainsi que l’Académie Militaire.

La situation militaire a donc encore une fois changé de main et sur un plan géographique, la carte s’est diamétralement inversée.

Ceci étant, il est difficile de conjecturer sur l’évolution de cette zone de conflit, n’ayant pas tous les éléments en notre possession. L’objectif avoué de la coalition islamiste est de « libérer » la totalité de la ville d’Alep. Celui du gouvernement aussi.

Quel est l’état moral des troupes? Le fanatisme religieux sera t’il plus fort que la discipline militaire? Quel est le niveau des défenses gouvernementales sur la nouvelle ligne de front? Dans quelle mesure l’aviation russe va t’elle intervenir? Il existe en effet un réel danger à concentrer toutes ses forces sur une portion de territoire lorsque l’on ne possède pas la maitrise des cieux… Quelle macabre surprise nous réserve l’Etat Islamique? Les islamistes sont-ils encore en mesure de recruter des combattants? Autant de questions majeures qui pèseront lourd dans les semaines à venir…