La cour européenne des droits de l'homme prend le parti de l'azerbaudjan contre le Haut-Karabagh
Le sommet européen sur les relations UE/Caucase qui s’est tenu à Riga, en Lettonie, les 21 et 22 mai derniers, nous a rappelé que le conflit territorial du Haut-Karabagh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie est toujours d’actualité. Il y a actuellement plus de 1000 requêtes individuelles pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) introduites par des personnes déplacées pendant le conflit. Cette dernière s’est saisie de la question de l’impossibilité pour des réfugiés azerbaïdjanais d’accéder à leurs biens restés dans un territoire contrôlé par l’Arménie. Conclusion sans appel : elle reconnaît non seulement aux populations azerbaidjanaises déplacées le droit de propriété et de retour sur les terres dont elles ont été chassées, mais également l’occupation du territoire par les forces arméniennes. Cet arrêt permettra de changer le statu quo dans le conflit, et va affaiblir la position de l’Arménie dans les négociations menées dans le cadre du Groupe de Minsk.
Le conflit du Haut-Karabagh met aux prises l’Azerbaïdjan et son voisin arménien depuis des décennies. Cette province a été déchirée par un des conflits ethniques les plus destructeurs ayant surgi après la décomposition de l’Union soviétique, opposant les séparatistes arméniens (soutenus par l’Arménie) et la République d’Azerbaïdjan dans une guerre qui fit rage de 1988 à 1994, et qui aurait fait, au bas mot, 30.000 morts. Avec la désintégration de l’Union soviétique, la situation dégénéra en effet en un violent conflit entre les deux parties, aboutissant à des allégations de nettoyage ethnique. Aujourd’hui, le « jardin noir » (Karabagh) est largement peuplé d’Arméniens mais est reconnu par la communauté internationale comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Si la hache de guerre est officiellement enterrée depuis plus de 20 ans, dans les faits, l’occupation illégale par l’Arménie du territoire azerbaïdjanais est encore source de nombreux heurts.
Les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’ont jamais été harmonieuses. Le différend entre les deux pays continue de produire son lot de pertes humaines chaque année, et met en scène un jeu d’alliances complexe, qui n’est pas sans rappeler l’affrontement Est/Ouest du siècle précédent. Le temps, souvent salvateur, ne semble ici d’aucun secours. Pas plus tard que le 16 février dernier, Elmar Mammadyarov, le chef de la diplomatie azerbaïdjanaise, avait ainsi exigé « le retrait des troupes arméniennes des territoires occupés de l’Azerbaïdjan » ; le lendemain, Edward Nalbandian, son homologue arménien, avait accusé Bakou de vouloir saper « le processus de paix ».
Pour tenter de dépasser les clivages ethniques et d’apporter une réponse objective aux deux parties, l’intervention d’une autorité extérieure et impartiale s’est imposée, en offrant une hauteur de vue salvatrice, capable d’injecter un peu de rationalité dans un conflit à huis-clos où tous les coups semblent permis. A ce titre, l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu sur l’affaire « Chiragov et d’autres c. l’Arménie » est l’une des décisions les plus importantes adoptées à ce jour dans le cadre du conflit du Haut-Karabagh.
« La Cour considère que, tant que l’accès aux biens n’est pas possible, l’État a le devoir de prendre d’autres mesures en vue de garantir le droit de propriété, devoir d’ailleurs reconnu par les normes internationales pertinentes des Nations Unies et du Conseil de l’Europe. »Par cette déclaration, la Cour européenne reconnaît le droit des personnes déplacées à retourner sur leurs terres et à reprendre possession de leurs biens. Pour la première fois dans l’histoire du conflit, un tribunal international confirme également l’occupation effective des territoires azerbaïdjanais par l’Arménie, reconnaissant que cette dernière exerce, par le biais de ses forces armées, un contrôle effectif des territoires du Haut-Karabagh – la CEDH a justifié sa décision par les règles définies dans le droit international, selon lesquelles le contrôle effectif est le principal critère de l’occupation.
La force exécutoire de la décision devrait largement contraindre les manœuvres de l’armée arménienne – d’une part par le retour inconditionnel des personnes déplacées dans leurs foyers, d’autre part avec le retrait inconditionnel de ses troupes de la zone d’invasion. Si, au cours des négociations sur le règlement du conflit, l’Arménie a mis en avant un certain nombre de conditions pour le retrait des troupes des territoires occupés (toutes ces conditions ayant vocation, on s’en doute, à légitimer le régime séparatiste du Haut-Karabagh), ces conditions sont de facto écartées au vu de l’arrêt de la CEDH. Plus encore, la décision sera certainement un facteur décisif dans les pourparlers sur le conflit du Haut-Karabagh, fournissant un avantage de taille à l’Azerbaïdjan dans le cadre du processus de règlement du conflit du Haut-Karabagh orchestré par le groupe de Minsk (Etats-Unis, France, Russie).
La Haute instance de Strasbourg renvoie en outre sur l’Arménie toute la responsabilité des violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. Cela signifie que l’Arménie doit restaurer les droits humains violés dans le Haut-Karabagh et les sept districts environnants, tout en s’exposant à des poursuites directes. La reconnaissance formelle de la purification ethnique menée par le pays agresseur dans le Haut-Karabagh est une nouvelle fracassante pour l’Arménie, qui se voit accusée, ni plus ni moins, de crime contre l’humanité. Pour toutes ces raisons, l’arrêt de la CEDH constitue une étape cruciale dans le règlement du conflit du Haut-Karabagh, à même de débloquer le statu quo, et de bénéficier à terme aux populations victimes de cette invasion.